Aller au contenu

Podcast Cap Regen : “Ma génération a le devoir de changer et d’agir » avec Sophie Robert-Velut, DG des Laboratoires Expanscience

Dans cet épisode, Eric Duverger reçoit Sophie Robert-Velut, Alumni du 1er parcours de la CEC et DG Dermo-cosmétique, Rhumatologie et Dermatologie des Laboratoires Expanscience, une entreprise française, 100% familiale, qui fabrique des produits cosmétiques qui contribuent au bien-être du corps et de l’esprit. Ensemble ils abordent la réconciliation RSE et business, l'expérience libératoire de la CEC, l'action au delà du carbone, la nécessaire sensibilisation de toutes les parties prenantes, le rôle du politique, l'ancrage dans le territoire, la coopération locale et sectorielle, le rôle des marques dans la vie des gens, le renoncement, la difficulté à mesurer l'impact positif sociétal et à trouver des nouveaux modèles économiques…
CAP Regen 04 Sophie Robert-Velut

écouter cet épisode

[Eric] Bonjour Sophie.

[Sophie] Bonjour Éric.

[Eric] Alors Sophie, je te propose de faire un pacte. Ce pacte, il tient en trois mots. Courage, parce qu’il en faut du courage quand on s’embarque dans l’aventure de l’économie régénérative. Authenticité, l’authenticité de notre échange et pragmatisme, parce qu’ici, on cherche à rendre très concrète cette nouvelle économie. On va essayer de trouver des exemples les plus concrets possibles. Ces trois initiales, courage, authenticité et pragmatisme, ça fait CAP. Alors Sophie, CAP ou pas CAP ?

[Sophie] CAP, bien sûr.

[Eric] Alors Sophie, tu es diplômée de l’ESCP Business School. Tu as démarré en 2003 une très belle carrière chez L’Oréal. Tu as longtemps travaillé en Amérique Latine pour les marques Vichy et La Roche-Posay. Mais aussi tu as travaillé sur la marque Garnier, qui est beaucoup plus grande distribution. En juillet 2019, tu quittes L’Oréal pour rejoindre les laboratoires Expanscience, en tant que directrice générale des activités dermocosmétiques. Tu as été une des participants de la première CEC en 2021 et 2022. Tu es devenue une des porte-parole les plus convaincantes de notre association. Alors, on va commencer par la traditionnelle présentation de ton entreprise en quelques mots.

[Sophie] Expanscience, c’est une entreprise qui est familiale, française, qui est née en 1950, lorsque un pharmacien et un entrepreneur, M. Guillon et M. Berthomé, ont vu débarquer des États-Unis toutes les marques américaines avec la libération de la France, et notamment Johnson, qui faisait un lait Baby Johnson. En fait, ils se sont dit, nous, en France, on pourrait faire la même chose. Et donc, ils ont créé le lait de toilette Mustela. Et la marque Mustela est née à ce moment-là. Et c’était vraiment l’idée de prendre soin des nouveaux-nés, et puis d’avoir cette idée d’acheter français. de produire en France. Et puis ensuite, pendant des années, ils ont travaillé sur l’extraction végétale des ingrédients justement qu’ils mettaient dans ces produits. Et un peu par hasard, ils ont découvert qu’il y avait certains de leurs extraits végétaux qui avaient été l’objet d’une publication sur les articulations et sur la santé des tissus cutanés. Et donc, il y a eu ce saut technologique et ils ont créé un médicament dans le traitement de l’arthrose qui est devenu une deuxième activité finalement pour la boîte qui s’appelle Piasclédine. Et puis après, il se trouve que tout ce savoir-faire d’extraction végétale, ils se sont dit, c’est dommage, on a des extraits végétaux quand on fait de la distillation moléculaire, etc. Il y a des trucs qui restent de cette distillation. Des huiles, des concentrats, etc. Et en fait, ils se sont dit, on pourrait déjà les valoriser, voir à quoi ça sert, est-ce que ça pourrait être utilisé dans de la cosmétique pour la marque Mustela, mais aussi pour d’autres entreprises. Et donc, il y a une troisième activité qui a vu le jour, plus récente. On est présent dans une centaine de pays, mais on a 14 filiales à l’international. Et puis, on a un chiffre d’affaires qui est autour de 340 millions d’euros. 1200 salariés. Voilà, tu sais à peu près tout.

[Eric] Alors, on va faire un petit retour en arrière. Dans ton enfance, quel métier tu voulais faire ? Est-ce que tu voulais déjà être dans le business ? Ou est-ce que tu avais d’autres aspirations ?

[Sophie] Alors, quand j’avais l’âge de mon plus jeune fils de 10 ans, je voulais être capitaine de bateau. Donc, plutôt inspirée des romans de marine. Après, j’ai voulu être navigatrice en solitaire, faire le Vendée Globe, tout ça. En même temps, j’avais envie d’être architecte. Donc globalement, dans mon ikigai, si on doit utiliser les mots à la mode du sens de la vie, il y a la volonté de vivre une aventure et de ne pas trop savoir ce que je veux faire plus tard. Et ça, ça reste. Et puis, il y a cette idée de bâtir.

[Eric] Est-ce que tu dirais que tu as grandi avec la fibre écolo ? Cette transition socio-écologique, d’où est-ce que ça vient ?

[Sophie] Alors oui, mes valeurs sont très ancrées plutôt sur la responsabilité sociale. Puisque j’ai deux parents qui sont des travailleurs sociaux, et ils ont bossé l’un dans le handicap, autour du handicap et de l’intégration des personnes avec un handicap dans le milieu professionnel. Et l’autre, ma mère, elle a été chef d’entreprise d’insertion. À l’époque, on ne parlait pas de ESS. Toute sa vie, elle a vraiment eu cette idée de créer des entreprises pour insérer les gens. Et ça, quand tu fais ton école de commerce, moi, j’avais déjà cette idée-là d’une forme de responsabilité. Quand je suis rentrée chez L’Oréal, je me suis beaucoup focalisée sur un management qui soit humain, raisonné, qui ne presse pas les gens comme des citrons, qui cherche à les faire grandir, qui est autonomisant, etc. L’écologie, c’est venu plus tard. Lorsque je suis rentrée, je me suis occupée après le Mexique d’une marque qui s’appelait Sanoflore, qui à l’époque venait d’être rachetée par L’Oréal et qui était la première marque certifiée bio rachetée par le groupe. Et en fait, c’était hyper intéressant parce que le groupe L’Oréal avait senti finalement que la naturalité, c’était un truc important. Mais c’était le géant de la formulation chimique à l’époque. Et cette toute petite marque qui a fait son succès en France, mais qui n’a jamais été un immense truc, a été en revanche la pierre angulaire de la transformation vers le naturel de tout un groupe aussi énorme. Et donc, c’était hyper intéressant parce qu’on a mis en place la première charte de développement durable du groupe. au sein de cette marque. Et ensuite, ça a servi de miroir pour le reste des marques du groupe L’Oréal. Notre laboratoire, qui était dans le Vercors, qui était inaccessible l’hiver parce qu’il y avait de la neige et tout, a été le premier laboratoire naturel de développement de produits naturels du groupe L’Oréal. Et il y avait énormément d’apprentissages entre les labos, les énormes labos de L’Oréal en banlieue parisienne et ce tout petit labo-là. Parce qu’en fait, c’est complètement un autre monde. Tu ne formules pas du tout de la même manière. Et on avait à l’époque, chez Sanoflore, une obligation d’acheter 100% des productions des agriculteurs du coin avec lesquels on avait passé des liens et des contrats de culture. Donc, j’ai découvert ce que c’était que l’agriculture biologique à ce moment-là. J’ai découvert que c’était que la vie des agriculteurs en France. Donc, il y a eu une vraie découverte de cet univers rural, de ce que c’était que la solidarité au sein de cet univers-là. Et moi, ça a complètement changé ma vision des choses.

[Eric] Quelque part, il y avait un terrain en toi au niveau social et cette prise de conscience écologique, il n’en reste pas moins que ton chemin a croisé celui de la CEC, en 2021. Est-ce que tu peux nous dire qu’est-ce qui s’est passé ?

[Sophie] Alors, en fait, j’ai quitté l’Oréal aussi parce que cette prise de conscience a fait que je me suis dis, à un moment, on arrive au bout du chemin, qui était un bon chemin, tu vois, tu passes 15 ans dans une entreprise, c’est qu’a priori, tu y trouves ton compte. Mais à la fin de ces 15 ans, je me suis dis qu’il y avait un problème de modèle. C’est-à-dire qu’il y avait des gens formidables dans cette boîte mais on se heurtait tous finalement à un problème qui est qu’un groupe de cette taille coté en bourse a une dilution de sa gouvernance qui fait que finalement, il n’y a pas vraiment de chef, le chef, c’est le dieu marché. Et cette divinité-là, on ne peut pas lui parler, on ne peut pas la raisonner, on ne peut pas lui parler des limites planétaires. Et donc, il y a un moment où tu te butes finalement à un énorme problème qui est que la notion de croissance n’est jamais remise en question dans un groupe comme celui-là. Et on est tout le temps dans l’accélération permanente des profits, plus de volume, plus de valeur. Je sentais que j’étais arrivée au bout de ce modèle. Moi, personnellement, je voulais aller plus vite. Et c’est pour ça que je suis rentrée dans une entreprise de taille familiale. Je me suis dis cette taille-là, elle est plus manipulable d’une certaine manière. On peut faire des choses. Et en plus, il se trouve que c’est une boîte qui avait déjà la certification B-corp. Il y avait une volonté derrière. Et en revanche, effectivement, je pense que la rencontre de la CEC, qui s’est produite deux ans après mon arrivée chez Expanscience, c’est arrivé à un moment où justement, on s’est dit, on a envie de faire, il nous manque peut-être un certain nombre de concepts, d’outils pour que le business fasse, et pas uniquement l’équipe RSE. Chez Expanscience, il y avait théoriquement une volonté commune du patron, du président actionnaire, etc. et de tous les salariés. Mais en pratique, quand je suis arrivée, il y avait Karen Lemasson, qui est la directrice RSE, qui tenait le truc à fond, qui avait amené beaucoup de changements. Mais on sentait bien que le business était à côté. Tu vois, tu avais le business qui faisait son job et puis à côté, la RSE qui essayait de minimiser les impacts, etc. La rencontre avec la CEC, ça a été justement un moyen pour moi d’avoir les méthodes en tant que businesswoman et pas en tant que directrice RSE, de reprendre les bases de mon business et de me poser les bonnes questions pour que ce soit plus le business d’un côté et la RSE de l’autre, mais que ce soit imbriqué et que la RSE, ce soit la stratégie business aussi.

[Eric] On a dans le parcours CEC un moment où se pose une question, chaque participant se pose pour son entreprise une question, qui est la question générative, celle qui permet de repenser sa stratégie. Quand tu es arrivée là, à ce moment de l’exercice, à quoi ressemblait cette question générative qui justement permettait de mettre cette transformation au cœur du business et que ça ne soit pas justement de côté ? Est-ce que tu te souviens de cette question là et qu’est-ce qu’elle t’a permis d’éclairer ?

[Sophie] Bien sûr. Ce qu’on a fait, en fait, c’est qu’on a décidé de travailler le cas de Mustela à la CEC exclusivement pour simplifier peut-être notre travail. Ce qui ne nous a pas du tout empêchés finalement de faire un projet global d’entreprise. Et aujourd’hui, il y a un travail qui est fait de manière très globale. Néanmoins, la question générative de l’époque, qui reste encore très concrète, qui a guidé notre feuille de route, j’aime bien dire qu’elle ne dit pas comment, mais elle dit et si. C’est cette question de dépasser le comment je vais faire. Parce que souvent, quand tu dis comment faire pour être moins dégueulasse, comment faire pour avoir un impact positif, tu vois la montagne devant toi et tu arrives rarement à la dépasser, à la franchir, tu ne vois que les difficultés. Donc, se dire et si j’étais arrivée à faire ci et ça ? C’est ce qui te permet en général de te projeter dans l’avenir et après de te dire imaginons que j’ai réussi à faire tout ça, ça profite à qui ? Ça ne profite pas qu’à moi, ça profite peut-être à mes parties prenantes, à mes partenaires, à mes clients, etc. Et ça va me permettre d’aller lister ces alliés potentiels pour aller les chercher, puis ensuite se dire ensemble, on va faire advenir les choses. Et souvent, à plusieurs, on y arrive. Donc, notre question générative, c’était : Et si Mustela était capable finalement de proposer des solutions à la fois sobres ? Deuxième question, enfin deuxième pan : Et si Mustela était capable de faire des solutions pour la famille qui soit locales ? Et trois : Et si ces offres permettaient de réparer les écosystèmes dans lesquels les familles à qui on vend nos produits vont grandir ? La génération de nos idées, elle vient de la sobriété de l’offre, de la localisation ou de la relocalisation de l’offre, et d’une notion de réparation des écosystèmes. C’est quoi en fait ? C’est que quand un parent, il achète un produit, aujourd’hui, il veut un produit qui sente bon et un produit qui soit clean. En gros, il se dit, je ne veux pas que ce soit dangereux pour la santé de mon enfant. Mais c’est la santé immédiate. Mais on pense rarement à la santé à long terme. Et la CEC nous fait prendre conscience de ça, c’est que les limites planétaires étant franchies, en fait, veiller à la santé de ton enfant, c’est veiller aussi au fait que dans 15 ans ou 20 ans, il aura de l’eau pour boire, il aura à manger, il n’y aura pas de guerre autour, etc. et il ne fera pas trop chaud dehors. Donc en fait, cette santé non immédiate, mais quand même relativement court terme, elle est aussi importante que si tu mets un parabène ou pas dans un produit. Donc on s’est dit que cette réparation des écosystèmes, ça devait être une obligation. de la part des marques et que ce serait sûrement ce que les parents allaient rechercher dans l’avenir. C’est-à-dire se dire, je veux être sûr qu’en achetant un produit Mustela, par exemple, à la fois je suis sûr que ça vient d’à côté de chez nous, que c’est extrêmement utile, parce qu’en fait on sera obligé de faire des choix de consommation dans les décennies qui viennent, donc qu’on ne veut pas surproposer de l’offre qui ne sert à rien. Et enfin, qu’à chaque fois que j’achète un de ces produits, produire ce produit n’a pas détruit les écosystèmes où je vis et où mon enfant va vivre. Donc c’est ça qui nous anime aujourd’hui, ces trois pans là.

[Eric] Effectivement, sur Mustela, tu as annoncé, tu as fait une annonce, et parfois c’est un peu embêtant, c’est quasiment réducteur sur la feuille de route, mais qui était un renoncement. Et ce renoncement, il faut se le dire, c’est quelque chose de très rare dans le monde économique, extrêmement rare, et ça a été fait publiquement. Donc on va en parler un petit peu, c’est un marqueur aussi de la CEC, et c’est vrai que tu as été particulièrement médiatisé autour de ça. On va en parler, sachant qu’il y a plein d’autres choses dans la feuille de route qu’on va explorer ensuite. Ce renoncement, c’était sur les lingettes jetables, en donnant une certaine temporalité pour sortir de ce business. Est-ce que tu peux nous expliquer la logique de la prise de décision, l’accompagnement de cette prise de décision et finalement, comment ça a été reçu dans l’entreprise, puisque c’est très peu courant qu’un dirigeant prenne ce genre de décision ?

[Sophie] La prise de décision, elle s’est faite d’abord de manière collégiale. Et l’ensemble de ce qu’on prend comme décision aujourd’hui, ce n’est pas le fait d’une personne. C’est hyper important de le préciser. La CEC nous a permis, avec Karen, de se dire, bon, allez, on sait que cette catégorie, elle est peu valorisée. Donc, elle n’apporte pas en plus énormément de positifs à ta marque parce qu’elle ne parle pas de soins. C’est du sopalin imbibé d’eau. En plus, maintenant, la grande mode, c’est les lingettes à l’eau. Moi, je trouvais ça aberrant. En fait, c’est que les gens, ils achètent du sopalin rempli d’eau, puis avec des conservateurs dedans. À un moment, tu te dis, mais ça n’a pas de sens. Donc, on avait cette idée que cette catégorie ne serait pas porteuse d’avenir pour nous. Par ailleurs, c’est une catégorie… très importante effectivement en volume mais qu’on sous-traitait. Donc, il n’y avait pas de lien avec l’emploi direct chez nous en tout cas. Donc, quand même pas si douloureux. Et enfin, c’est une catégorie qui portait beaucoup de chiffres d’affaires parce qu’à l’époque, quand on a pris la décision, c’était 20% du chiffre d’affaires de la filiale française. Pour autant, ça portait peu de marge. Donc, en tout cas, c’était moins fort en marge que d’autres catégories. Donc, si tu veux… c’est important, je ne suis pas là pour dénigrer notre décision parce que c’est une décision qui se prépare, qui a demandé effectivement quand même de s’aligner. C’est plusieurs millions d’euros en moins, même en marge. Donc voilà, c’est une décision lourde. Pour autant, je pense qu’on l’a faite en connaissance de cause et à plusieurs et en regardant toutes ces datas-là. En fait, on ne l’a pas faite sous acide. Après, comment ça s’est fait ? Il y a beaucoup de gens qui me disent : oui, mais vous auriez pu arrêter tout de suite… non, on n’aurait pas pu arrêter tout de suite. Pour le coup, arrêter tout de suite cette catégorie là, ce n’était pas un choix raisonnable pour l’emploi de mes salariés, notamment les commerciaux, parce que c’était très important dans leur chiffre d’affaires. Ce n’est pas raisonnable non plus parce que tu t’aliènes complètement tes pharmaciens, parce que pour eux, quand tu es leader en plus de la catégorie, si tu arrêtes du jour au lendemain, il y a des gens qui vont déserter le point de vente. Donc, il fallait préparer notre écosystème, préparer en interne les commerciaux. Parce que c’était globalement la catégorie sur laquelle ils passaient le plus de temps en pharmacie. Il fallait préparer nos pharmaciens. Et puis surtout, il faut préparer tes consommateurs. Parce que, imaginons le fait dans un claquement de doigts, les parents, ils vont dire quoi ? Ils vont dire, il n’y a plus de lingettes Mustela, j’achète les lingettes de la concurrence. Et tu n’as même pas eu le temps, finalement, dne pas expliquer ton choix et surtout de porter préjudice à cette catégorie, de sensibiliser les gens sur le fait qu’elle est dégueulasse, et qu’elle provoque souvent de l’eutrophisation des sols. la mort des sols quand elle est déposée en décharge, si les gens font l’erreur de la jeter dans les toilettes, ça crée des bouchages, donc ça augmente nos impôts, objectivement. Tout ça, il fallait qu’on prenne le temps de l’expliquer aux consommateurs, de l’aider à trouver des alternatives pour faire en sorte que l’ensemble de la catégorie diminue fortement en volume. Et c’est ça notre objectif. C’est d’être plutôt pas les seuls à faire un truc, c’est plutôt d’être peut-être les premiers pour qu’ensuite on soit suivi. Et peut-être qu’on sera suivi… non pas par des renoncements aux lingettes, mais au moins par une amélioration du mix de la fabrication de ces lingettes. C’est-à-dire que nous, quand on a pris cette décision, on a immédiatement changé déjà la lingette qu’on avait. On a fait une lingette qui est compostable. Et on dit aux gens de ne les jeter surtout pas dans les toilettes. Ce n’est pas parce que c’est compostable qu’il faut les jeter dans les toilettes. Il faut les mettre dans un compost. Mais c’est compostable à la maison. Donc ça, c’est pas mal déjà. Mais ensuite, ce qu’on se dit, plus on va faire du bad buzz sur les lingettes, plus on a de chance pour que dans trois ans, enfin à l’époque, c’était dans trois ans, quand on arrêtera, les autres, les concurrents, fassent au moins des améliorations sur le mix et fassent des lingettes compostables. Donc, c’est ce qu’on pense qui va se produire. On commencera la campagne de bad buzz l’année prochaine, c’est-à-dire un an avant l’arrêt. Et puis, on va commencer aussi à aller voir des groupements de pharmaciens pour les prévenir et puis pour voir avec eux qu’est-ce qu’on peut faire pour les accompagner d’une part et puis peut-être pousser nos concurrents à nous suivre dans une voie d’amélioration en tout cas.

[Eric] Quand on regarde la feuille de route de Mustela, on se rend compte qu’il y a une dimension locale, tu le disais, très forte. Il y a une usine principale qui se situe dans le Centre Val-de-Loire, dans cette région là. Est-ce que tu peux nous parler un petit peu du rapport justement au territoire, au local ? Est-ce qu’il y a quelque chose qui a changé depuis la feuille de route CEC ?

[Sophie] C’est étonnant, mais tu vois, ça faisait plusieurs décennies qu’on était installé à Épernon, en Eure-et-Loir. On avait des liens avec le lycée, évidemment avec la collectivité territoriale. Il y a beaucoup de nos employés qui vivent sur la commune ou autour. Mais pour autant, on n’avait finalement pas tant de liens que ça avec le département. On ne connaissait pas notre territoire, au sens vraiment, comment il va ? Est-ce que la biodiversité est bonne ? Est-ce que le stress hydrique s’accélère ? Comment vont les cours d’eau ? Mais aussi, quel est le niveau de santé des habitants de ce département, etc. Donc, on a assez vite, en sortant de la CEC, décidé qu’il fallait qu’on connaisse ce territoire. Donc, il y a eu un travail qui a été fait avec Openlande, là-dessus, qui était hyper intéressant. Parce que maintenant, on sait qu’il y a 20% de moins de débit d’eau attendu sur les dix prochaines années dans les cours d’eau autour de chez nous. On sait qu’il y a beaucoup de forêts, mais une chute assez forte de la biodiversité, parce qu’il y a aussi beaucoup de monocultures entre ces forêts. Mais aussi, ce qu’on a fait, et ça, c’est beaucoup les gens qui habitent là-bas, et on a la patronne des labos et le patron de l’usine, enfin des opérations industrielles, qui habitent là-bas. Et eux aussi ont commencé finalement à s’intéresser à ce qui se passait autour d’eux. Je pense qu’ils s’intéressaient déjà, mais ils l’ont fait vraiment dans un point de vue professionnel. Et en fait, Jean Delomier, notre patron des opérations industrielles, un jour nous dit, ça fait quand même plusieurs mois que je passe devant la ferme expérimentale de chez Bongrain. Et l’autre jour, je suis allé les voir, je leur ai acheté du lait, du fromage et tout. En fait, ils ont une station de méthanisation. Puis nous, on ne sait pas trop quoi faire de nos bouts de lavage. Tu sais, quand tu fais des cuves avec des cosmétiques, tu dois mettre beaucoup d’eau. C’est-à-dire, toute notre utilisation d’eau est beaucoup là-dedans, plus que dans ce qu’on met dans les produits. Et ces eaux, il y a une partie des eaux qu’on retraite nous-mêmes, une autre partie qui sont des bouts qu’on est obligé d’envoyer à plusieurs centaines de kilomètres pour les faire retraiter par un acteur qui fait ça. Finalement, c’est des coûts, des transports en camion, des cuves. Et sa discussion avec cette ferme lui a fait comprendre qu’on pouvait tout à fait faire un partenariat avec eux. Eux cherchaient des matières organiques à méthaniser. Nous, on avait ces bouts de lavage et donc ils ont fait des deals. Puis en faisant ça, ils se sont rendus compte qu’ils avaient un mix énergétique hyper intéressant avec une chaudière biomasse et une forêt bien gérée à eux. et qu’ils avaient du surplus, que ça les intéressait peut-être de nous vendre. Et en fait, comme ça, on a travaillé notre nouveau mix énergétique à l’usine, par ces discussions-là et par cette coopération là. Et du côté des labos, ils ont commencé à chercher des agriculteurs du coin, notamment un mec qui faisait du tournesol, donc une grosse monoculture qui utilise beaucoup d’eau, etc. Mais en revanche, il le faisait en bio. Il avait sa propre presse pour faire de l’huile. Là, on s’est dit, tiens, au lieu d’acheter notre tournesol en Ukraine, en plus, il se trouve qu’il y avait la guerre en Ukraine, donc on avait été obligés de diversifier très rapidement pour se préparer. Mais on s’est dit, ce serait bien d’aller voir si ce gars-là, on peut lui acheter toute sa prod ou pas, est-ce qu’elle est de bonne qualité ? Et donc, on a commencé à travailler sur des contrats de culture. Donc, il y a un vrai état d’esprit à Épernon qui s’est créé sur cette idée d’habiter son territoire, de réancrer finalement l’entreprise dans son territoire. Et ce n’est pas que des mots, ça devient des projets très concrets. Donc voilà, c’est plutôt par l’ancrage local. qu’on arrive à trouver des idées, soit sur des problèmes complètes qu’on n’arrive pas à solutionner, autour de la décarbonation notamment, soit des idées d’innovation. Après, le local, ce n’est pas que ça. C’est aussi apprendre à formuler des produits plus simplement avec des matières locales. On le fait pour l’instant, justement, avec cet agriculteur qui fait du tournesol, mais on apprend à le faire, un peu comme en permaculture, c’est un peu ce que j’appelle la permaformulation, c’est-à-dire se dire, qu’est-ce qui pousse autour de chez moi ? Qu’est-ce que je suis capable de faire comme soin avec ? Et une fois que j’aurai appris à faire ça, peut-être que dans 15 ans, les produits du Brésil seront faits comme ça, mais au Brésil. Donc pour l’instant, on n’en est pas là, parce qu’il faut déjà apprendre un nouveau métier, qui est de formuler avec ce qu’on a. Mais ensuite, je pense que ça peut être intéressant à déployer dans le reste des pays.

[Eric] Alors justement, et sur cette dimension locale, mais internationale aussi, puisque Expanscience a des ventes dans une cinquantaine de pays dans le monde, tu disais ?

[Sophie] 100 pays pour Mustela et une cinquantaine pour Piasclédine.

[Eric] Voilà, donc une centaine de pays. Donc ça pose des questions de logistique aussi. Et on sait qu’il y a des matières qui circulent dans tous les sens sur nos océans. Est-ce qu’au niveau transport logistique aussi, vous avez des leviers d’action, soit de décarbonation ou de réduction de coût ou d’empreinte ?

[Sophie] Oui, on a commencé par la logistique avale. Donc on a travaillé d’abord avec nos filiales, ce qui est plus facile. On a interdit complètement le transport aérien. C’est complètement intégré. Ils ont un… un budget carbone logistique et donc ils s’y plient. S’ils prévoient super bien leur quantité et que du coup ils passent qu’en cargo, leur budget carbone n’est pas explosé et du coup si jamais ils ont besoin à un moment de faire un vol, parce qu’ils ont un super boost de vente, ils peuvent le faire, ça rentre dans leur budget carbone qui lui-même suit la trajectoire SBT de réduction des émissions. Pour les partenaires commerciaux externes, parce qu’on vend dans 14 filiales mais en fait on a du coup 80, 90 distributeurs à qui on vend nos produits. Et eux, dans leur contrat de distribution, ils reçoivent les produits à Orly ou à Roissy, mais en fait, c’est eux qui sont responsables du transport. Et donc, le jour où on a dit, il ne faut plus qu’ils passent par de l’aérien, ça a été beaucoup plus complexe parce que les mecs disaient, en fait, je fais ce que je veux. Et puis, nos commerciaux disaient : attends, si je n’arrive pas à leur livrer les trucs à l’heure, et qu’en plus, je leur demande de passer par du bateau, ça va prendre 5 à 10 fois plus qu’un avion, c’est galère, etc. Donc là, il y a eu un vrai travail de sensibilisation. Et ça, c’est un truc qu’on a appris notamment avec la CEC. Mais je pense, dans le mouvement Regen en général, c’est cette idée que tu n’es pas seul contre les autres, en fait. Et donc, on s’est dit, plutôt que de réfléchir à la négociation hardcore qu’on allait avoir avec les distributeurs, on s’est dit, il faut d’abord qu’on parle le même langage. Et donc, dans les séminaires qui ont eu lieu dans les mois qui ont suivi la CEC, entre les commerciaux d’Expanscience et les commerciaux de ces distributeurs, il y a eu des fresques du climat, il y a eu de la sensibilisation, on l’a fait avec nos fournisseurs aussi, etc. Et l’idée, ça a été de dire d’abord, on vous explique pourquoi on est des énervés sur ce sujet, et assez vite, en fait, les mecs sont d’accord avec nous. Et ça déplace complètement la relation commerciale, c’est-à-dire que d’un coup, tu parles de l’avenir de tes enfants. C’est très émouvant. Donc, ça ne les empêche pas de négocier comme des barbares sur les prix, mais on est quand même dans une relation qui est très différente parce qu’on commence à parler de responsabilité et on parle de choses très intimes. Ça nous a permis d’arrêter complètement l’aérien chez les distributeurs de Mustela. Et sur Piasclédine, qui est un médicament sur lequel on a toujours du retard de fabrication parce que c’est très dur, on a fait petit à petit. Au fil des distributeurs dont on pouvait combler petit à petit les problèmes de stock, on pouvait passer de l’aérien vers le maritime. Donc aujourd’hui, il me reste, je crois, trois distributeurs en Asie qui sont encore sur de l’aérien, mais c’est le jour et la nuit par rapport à il y a trois ans. Donc oui, on a travaillé sur cette chaîne avale. Sur la chaîne amont, on ne fait pas d’aérien de toute façon, mais le bilan carbone, ce n’est pas que la logistique quand tu achètes des matières premières. Les matières premières, végétales ou chimiques, elles ont un énorme poids carbone, surtout quand elles sont végétales parce qu’en fait, c’est le mode de culture qui va être utilisé dans le pays où tu vas acheter. qui va influer fortement sur ton bilan carbone. Donc là, ce qu’on fait, c’est qu’on se focalise sur les 10 matières premières qui font, je crois, 8% de notre bilan carbone global de l’entreprise. On s’imagine 10 matières premières qui font presque 10% de mon bilan carbone. Et là, c’est beaucoup de négociations, parce que des fois, on achète à des intermédiaires. Et les intermédiaires, ils te disent, je ne vais pas te dire à chaque fois que je t’envoie une cuve, si ça vient de tel pays ou de tel champ. Alors, le pays, normalement, ils sont obligés, mais la traçabilité au niveau de l’agriculteur, et très, très limité chez les très gros faiseurs, les très gros brokers de matières premières. Donc là, c’est de la négo dure. C’est même parfois, pour certains, du lobbying. C’est-à-dire qu’on est obligé de passer par des ONG qui nous aident à faire pression pour pousser ces grosses boîtes à donner plus de lisibilité, de traçabilité. Ce qui n’est pas mal, c’est que déjà, à minima, sur la déforestation, la loi va obliger ces gens-là à donner des certificats de non-déforestation. Mais de là à avoir carrément la traçabilité vers l’agriculteur, pour qu’on soit en mesure de l’aider, de l’accompagner, pour qu’il change son mode cultural et qu’il travaille à la fois sur la biodiversité et sur le carbone, parce que c’est souvent très lié, en tout cas sur la partie sourcing des matières premières, tant mieux, c’est pas contradictoire. Là, il y a un travail déjà de déplier l’intermédiation. Et ça, c’est un travail que font les équipes achats qui ont complètement changé de métier ces derniers mois. Ils se forment à ça et maintenant, évidemment qu’ils regardent la qualité et le prix. Mais la première chose qu’ils regardent, c’est est-ce que j’ai une bonne traçabilité et est-ce que la personne à qui j’achète est en volonté de me donner cette traçabilité, cette transparence pour que petit à petit, on puisse améliorer. Donc en fait, un acheteur, maintenant, il doit avant tout être au fait des modes de culture, des mix énergétiques des pays où il achète. Tu vois, donc c’est plus tout à fait le même métier qu’il y a dix ans.

[Eric] Ça nous permet toute cette logique d’écosystème, ça peut nous permettre aussi d’aborder ensemble une notion que tu abordes assez souvent, dans tes tables rondes, tes prises de parole, qui est la notion de coopétition. Est-ce que tu peux nous dire, à tes yeux, qu’est-ce que c’est, nous donner quelques exemples concrets de l’approche coopétition ?

[Sophie] On le fait avec le vrac. On a commencé à lancer des machines qui étaient des espèces de fontaines où tu pouvais recharger un flacon que le consommateur achetait. Il pouvait remplir sa bouteille avec du gel lavant Mustela et puis ensuite la laver en lave-vaisselle chez lui quand elle était finie, puis la ramener et la re-remplir. Donc, au bout de trois remplissages, dont le premier, en analyse de cycle de vie, c’était devenu positif. Donc, super, on se dit, c’est bon, on a trouvé le truc, tout le monde va y passer, c’est sûr. Et en fait, pas du tout. C’est-à-dire que déjà, les gens, ils arrivent dans la pharmacie, ils ont le nez sur leur téléphone, ils ne voient pas ta machine de vrac, même si elle est trop jolie et qu’elle clignote. Et puis, même s’ils la voient, ils disent, ah oui, c’est sympa, mais ils n’ont pas la bouteille avec eux en permanence. Et puis… peut-être que ce n’est pas des produits bébés qu’ils veulent. Enfin bref, on s’est dit, tout seul, on n’arrivera pas à occuper suffisamment l’état d’esprit du pharmacien pour qu’il conseille systématiquement le vrac et à être assez visible pour le consommateur. Donc on a assez vite décidé d’aller chercher nos concurrents en leur disant, Viens, on le fait ensemble. Il y avait des velléités de faire du vrac chez les gens qu’on a contactés, mais ils n’étaient pas encore passés totalement à l’acte. Donc le principe, ça a été de dire, Écoutez, nous, on avait déjà deux ans de pratique en pharmacie. Donc on leur a dit, on met toutes nos connaissances gratos sur la table. On vous montre aussi nos analyses de cycle de vie. On vous fait gagner du temps. On a trouvé le fournisseur de la machine, etc. On avait les prix, on avait tout. Et on y va ensemble, ce qui permettra finalement d’avoir une offre beaucoup plus grande, donc du choix pour le consommateur, ce qui est quand même la meilleure manière de faire que le type s’arrête devant la machine. En plus, c’est des machines plus grandes, et du coup, elles occupent tellement d’espace que le pharmacien a plutôt intérêt à ce que ça tourne. Donc ça, c’était la preuve de concept qu’on voulait faire. Il y a deux ans qu’on travaille en consortium avec ces concurrents-là, et ça fait un an qu’on a ouvert des points de vente comme ça. Et on est bien contents parce qu’effectivement, ça tourne plus dans les pharmacies où c’est plus visible. et puis avec un pharmacien beaucoup plus motivé. Alors, tous n’ont pas craqué le truc, mais globalement, ça marche mieux. Ce qui est intéressant aussi, c’est qu’il y a des concurrents qui avaient dit non au départ et puis qui maintenant disent, bon, attends, ça a l’air de bien fonctionner, votre truc, on veut y aller. Ce qui est intéressant, c’est qu’il y ait plein de chantiers comme ça avec des concurrents qui, ensemble, s’associent, testent des trucs. Et puis, on sait que c’est un chantier très long parce que tu ne changes pas les modes de consommation en moins de 10 ans. Les sacs plastiques, ça a pris 10-15 ans. Donc ça prendra du temps et c’est pour ça qu’il faut être plusieurs pour partager les coûts, pour partager les apprentissages. Et puis finalement, parce que ce que je veux, moi, c’est fermer des portes. C’est essayer un truc et se dire bon, ça, c’est un gros échec. On ne le fera pas. Ça, en revanche, ça a l’air de bien marcher, hop, on améliore et on continue. Donc c’est vraiment ça notre idée dans la coopétition. On le fait aussi sur un consortium qu’on n’a pas monté nous d’ailleurs, qui s’appelle Pulp in Action et qui est sur un peu plus de R&D, mais avec des gros concurrents, sur la matière qui pourrait remplacer le plastique dans les emballages.

[Eric] On va faire un tout petit retour en arrière pour essayer d’embrasser les différentes limites planétaires. On a abordé la décarbonation, on a abordé des sujets autour des matières premières. Mais il y a un sujet évidemment dans les cosmétiques qui est l’eau. C’est une vraie problématique. On parle de ce territoire et notamment de votre usine en Eure-et-Loire. Est-ce que vous avez des sujets, des leviers d’action autour de l’utilisation de l’eau ?

[Sophie] Sur l’eau, il y a deux choses. La première, c’est l’utilisation de l’eau dans nos produits. Je ne sais pas si les gens sont au courant, mais un cosmétique liquide, type gel douche, shampoing ou même un lait pour le corps, il y a entre 30 et 70% d’eau à l’intérieur, d’eau du robinet. Donc ça veut dire quoi ? Ça veut dire qu’on fabrique des produits, qu’on les transporte à l’autre bout de la Terre et dedans il y a de l’eau du robinet. Donc en plus ça a un impact carbone fort, emballage aussi évidemment, parce que qui dit eau dans un produit dit bactéries, donc tu mets des conservateurs pour éviter que les bactéries ne se développent, etc. Donc la présence d’eau dans le cosmétique est un vrai problème. Nous, on a essayé de faire des produits solides. Pour l’instant, les consommateurs ne prennent pas. Enfin, ça reste encore anecdotique. Néanmoins, il y en a quand même toujours beaucoup plus qu’il y a encore 10 ans dans les rayons. Donc, ça finira sûrement par arriver. En parallèle de ça, on réfléchit aussi à tout ce qui est anhydre, ce qui est un peu différent du solide. Parce que le solide, finalement, tu concentres beaucoup de matière active dans un truc, il est possible que les gens en utilisent peut-être un peu trop. Donc, l’ACV du solide n’est pas forcément bien parce que tu n’as pas la dilution que permet finalement Le gel douche liquide, tu vois. Donc, ce qu’on est en train de voir, c’est de se dire, si je fais une poudre, et il y a une marque concurrente qui est super, qui a fait ça, qui s’appelle Pinpin, avec lequel on est en lien d’ailleurs, qu’on trouve super intéressant. Tu prends une poudre sèche qui va être vendue dans un petit sachet en papier, tu n’as pas besoin de plastique. Et puis, c’est toi qui reconstitues dans un flacon que tu as acheté de la marque en question et avec l’eau de ton robinet, tu reconstitues le gel douche. Mais on travaille sur ces sujets-là pour éviter à la fois la bouteille plastique et puis pour proposer quelque chose qui soit vraiment sur la corde. C’est-à-dire que là, si tu n’envoies plus que des petits sachets avec de la poudre, t’imagines, c’est complètement un autre business. Donc c’est de la R&D un peu longue, mais qui nous intéresse. En parallèle de ça, il y a le deuxième problème de l’eau, qui est vraiment l’usage de l’eau à l’usine. Et là, sur l’usage de l’eau à l’usine, ça fait partie des gros investissements qu’on planifie, pour lesquels d’ailleurs on est aidé un peu par les autorités, et ça c’est bien, il faut que ça continue, juste. Et c’est de travailler sur une boucle fermée en eau, c’est-à-dire toute l’eau qu’on utilise pour le lavage, pour le refroidissement aussi de nos installations, etc., jusqu’à présent, on prenait de l’eau dans les cours d’eau, on devait ensuite la filtrer, la rendre propre de nouveau et la rejeter pour en reprendre une nouvelle. Et ça, en fait, ce n’est pas possible. Donc là, on travaille sur cette boucle fermée, c’est-à-dire que tu prends l’eau, elle se réchauffe au contact des canalisations trop chaudes, puisque son boulot, c’est de refroidir. Puis tu la laisses décanter pour refroidir et tu la réutilises. Donc, c’est pas mal d’investissements. Évidemment, quand on a fait ce travail d’investissement sur l’eau, le ROI était débile, c’est-à-dire qu’on avait un ROI à 20 ans. Et bon, ce n’est pas des centrales nucléaires qu’on fabrique chez Expansion. Donc un ROI à 20 ans, c’était impossible. Sauf qu’on s’est dit, mais attends, si les autorités nous coupent l’eau régulièrement avec la montée du stress hydrique en Eure-et-Loire, finalement, l’eau va commencer à nous coûter beaucoup plus cher. Et on avait pour preuve le fait que c’est… alors, pas cet été, puisqu’il y a eu beaucoup d’eau, mais les trois dernières années, on a eu des menaces de la préfecture qui a dit, ben voilà, vous êtes dans un territoire en stress. Donc, toute entreprise qui n’aura pas fait d’efforts sur ses économies d’eau va avoir entre 1 et 25 jours de fermeture de son circuit d’eau. Et on a eu une entreprise à côté de chez nous qui a eu une fermeture maximale de quasiment un mois. Nous, on a eu, je crois, une demi-journée maximum parce qu’on est tout le temps en train de faire de l’amélioration continue sur l’utilisation de l’eau. Mais c’est vrai que si on se dit, ne rien faire, ça voudrait dire un mois de fermeture de production par an, c’est des millions et des millions. Oui, le ROI s’améliore. Voilà. Et du coup, maintenant, avec cette… nouvelle manière de faire de la compta, en tout cas sur les investissements. On s’est rendu compte qu’en 7-8 ans, on avait un bon ROI sur ce travail sur l’eau. Donc, on va le faire.

[Eric] Alors, on va basculer sur une autre partie du modèle socio-économique que vous pouvez avoir chez Expanscience, c’est de la feuille de route, qui est un peu plus sur la dimension sociale de vos activités. Une question sur la mobilisation sociale, mais même la mobilisation des équipes d’Expanscience sur la feuille de route. Est-ce que ce projet a changé la dynamique avec les équipes ou comment il a été reçu ? Parce que vous étiez vu comme un petit peu perchés au départ avec cette feuille de route. Est-ce qu’elle était bien reçue ? Est-ce que c’est devenu un projet d’entreprise ?

[Sophie] Alors non, elle n’était pas considérée comme perchée parce que déjà, la feuille de route, on l’a travaillée pendant la CEC, mais ce que tu ne sais pas, peut-être, c’est qu’en parallèle, il y avait un travail qui avait été lancé de fabrication de la feuille de route des dix prochaines années par les salariés eux-mêmes. Donc, on a fait en sorte, évidemment, que tout ça soit cohérent. Ce qui fait que le projet, ce n’est pas un projet top-down, ce n’est pas un projet qui vient de la direction et qu’on impose aux équipes. C’est un projet qui a vraiment été travaillé par des groupes de travail. Et quand je parle de groupes de travail, c’est quand même 120 personnes qui ont bossé à la fabrication des détails de cette feuille de route. Et même les mots ont été choisis par eux. Donc nous, ce qu’on a voulu faire, ça a été de rajouter des indicateurs peut-être plus radicaux avec la CEC, de rajouter la notion de régénération, mais quand tu es déjà B-corp, finalement, et puis on a fait en plus le travail de devenir société à mission la même année qu’on a fait la CEC, pour aligner nos objectifs de mission statutaires, c’est-à-dire les statuts de notre entreprise, avec cette feuille de route. Donc si tu veux, l’actionnariat, les salariés et la direction, on a tous contribué à notre manière à cette feuille de route. Donc elle est plutôt, on va dire, perçue comme quelque chose qui émane du corps social de l’entreprise. Mais ça ne suffit pas parce que tu as 120 personnes, mais on est 1200, donc, ça ne reste quand même que 10% des salariés qui ont co-construit ce truc-là. Donc, ce qu’il a fallu faire assez vite, ça a été évidemment de faire prendre conscience de pourquoi on faisait ces choses-là. Et même s’il y avait plein de gens qui disaient, oui, moi, je suis Expanscience, je suis écolo et tout. Finalement, tout le monde n’avait pas eu la fresque du climat. Tout le monde n’avait pas eu une formation aux enjeux de limites planétaires globaux. En plus, parce que la fresque du climat, c’est que le climat. Donc, ce qu’on a fait, c’est que l’année qui a suivi la CEC, on a travaillé sur une fresque qu’on a menée auprès de 100% des salariés déjà, et qui était un peu un starter de discussion finalement. C’est-à-dire que tu fais la fresque, mais y compris un opérateur de l’usine, il a fait la fresque du climat, tout le monde l’a faite. Et maintenant, quand un nouvel arrivant arrive dans l’entreprise, il doit, dans les six mois, avoir son séminaire, fresque du climat, etc. Suite à ça, il y avait de la discussion autour de… vous ressentez de la colère, du désespoir, c’est normal, il y a de l’éco-anxiété qui jaillit, mais on a un plan. Donc derrière, tu avais la formation à c’est quoi notre feuille de route dans le détail. Et puis ensuite, six mois plus tard, il y a eu un travail, mais c’était nécessaire de laisser ce temps de digestion aux équipes, un travail d’appropriation, c’est-à-dire, c’était un atelier qu’on a fait vraiment ad hoc, c’est l’équipe RSE qui a fait ça, pour chaque manager, donc à la maille de son équipe jusqu’à la toute plus petite équipe. Il y avait un travail de trois heures sur, ok, vous savez pourquoi on fait les choses, vous connaissez notre feuille de route globale d’entreprise, mais et toi Michel ? Et toi, Jocelyne ? Et toi, Paco ? Qu’est-ce que vous souhaitez faire, vous, au quotidien pour contribuer à cette feuille de route ? C’est quoi votre rôle dans la feuille de route Expanscience ? Et ce truc est très bien fait parce qu’en fait, ça personnalise. Il y a une appropriation. Et comme on sait que l’action, c’est le truc qui te sort de l’angoisse, ça a été hyper bien perçu parce que les gens sont ressortis en se disant moi, j’ai un rôle. J’ai un rôle. Je suis hyper angoissée sur le changement climatique, mais au moins, j’ai une mission. Je sais ce que je vais devoir faire. Et tu vois, c’était il y a un an et demi maintenant qu’on a fait ça et j’ai rebouclé par exemple avec les General Managers des pays cet été et je les ai trouvés mais encore plus moteurs que jamais. C’est-à-dire qu’avant, ils subissaient peut-être un peu au niveau des marchés dans les pays, ils subissaient un peu le siège. Ok, d’accord, ils ont une feuille de route, mais bon, nous, on fait du business, tu vois. Et aujourd’hui, ils voient des contradictions parfois, mais c’est eux-mêmes qui les remontent. Ils disent, tiens, tu me dis qu’il faut lancer des relais de prospérité dans l’entreprise, mais ça veut dire qu’on va peut-être devoir embaucher des gens en plus. Et au Mexique, des gens en plus sur le commerce, ils doivent prendre l’avion parce qu’il n’y a pas de train au Mexique et donc le bilan carbone va être dégueu. Donc c’est eux qui voient tout de suite les effets néfastes, éventuellement, d’une stratégie commerciale. Donc je trouve que ça a été très responsabilisant pour les équipes et à plein de niveaux différents de l’entreprise. Ça a amené aussi les gens à réévaluer leurs besoins de compétences. Des gens qui ont dit, les achats, ils ont dit, moi, si c’est ça mon nouveau job, j’ai besoin d’être formé, j’ai besoin de comprendre comment faire pour mieux négocier avec mes sous-traitants, etc. Et ils ont monté, par exemple, un truc qui s’appelle le Suppliers Day, qui est une journée complète, ils font venir les fournisseurs les plus stratégiques de l’entreprise et ils les amènent à travers… on a eu Heidi Sévestre l’année dernière, je ne sais pas qui on va avoir, mais à travers des témoignages inspirants, des fresques et puis la présentation de notre feuille de route. Ils se sentent impliqués, ils se disent ok, nous aussi, il faut qu’on s’engage. Et donc, on les amène à signer une charte d’engagement sur de la décarbonation, etc. Et c’est les patrons qui viennent. Donc là, les acheteurs sont arrivés d’eux-mêmes avec cette solution, en disant il faut qu’on change ça. Donc tu vois, ça crée finalement du jus de cerveau, des idées sur le comment et de l’empowerment, si on a le droit d’utiliser un mot anglais.

[Eric] Est-ce qu’on peut aller un tout petit peu plus loin ? On sent qu’il y a un projet d’entreprise, qu’il y a une mobilisation, que chacun trouve sa place. Mais finalement, si on prend un peu de recul sur la valeur sociale de l’entreprise, puisque tu nous parlais de ta famille sur l’économie sociale et solidaire, et finalement, l’entreprise, c’est ce qu’elle peut apporter à la société. Si on regarde Expanscience aujourd’hui, il y a des emplois, des familles qui sont concernées par ce projet d’entreprise. Quelle valeur sociale tu donnerais à ce projet d’entreprise en général ?

[Sophie] C’est hyper dur cette question. Nous, on s’est choisis comme raison d’être d’aider les gens à façonner leur bien-être, les individus. Parce que finalement, de Mustela à Piasclédine, et puis on a plein d’autres projets en cours, il y a cette idée de dire, le bien-être, ce n’est pas un truc qu’un docteur te donne, c’est quelque chose que tu construis à travers de la prévention, une prise en considération de ta santé mentale aussi bien que ta santé physique, puis aussi ton régime alimentaire, si tu fais du sport. Il y a plein de manières, finalement, de travailler ton bien-être. Et donc, on s’est dit, il faut que dans nos offres, qu’elles soient produits, donc issues de l’extraction, mais aussi services avec peut-être une donnée digitale, etc., il faut qu’il y ait cette notion de dire chaque produit ou service qu’on va mettre sur le marché doit contribuer au bien-être des individus à qui on va le proposer. Aujourd’hui, on n’est pas encore satisfait de ça, parce que c’est extrêmement difficile de mesurer ça. Donc, il y a un truc très bête déjà qu’on fait, mais qui paraît bête, et en même temps qui est hyper compliqué à mettre en place. C’est que les équipes marketing se sont dit qu’il faut qu’on ait la bonne manière de mesurer notre impact. Quand tu décides si tu vas lancer ou pas un produit. Avant, c’était, il y a tel concurrent qui fait tel produit, on peut se faire des couilles en or, vas-y, on lance. Là, le principe, c’est de se dire, quel est le besoin non satisfait, un vrai besoin non satisfait émis par les consommateurs ou par les professionnels de santé. Parce que parfois, le consommateur, il va dire, j’ai trop besoin de ça, alors qu’en fait, le truc, en vrai, ce n’est pas super nécessaire. Donc, on prend la température chez nos communautés, on prend la température aussi chez les professionnels de santé. Puis après, il y a une deuxième marque, en fait, à notre spider, à notre scorecard, on l’appelle. C’est, OK, c’est utile, très bien, mais est-ce que c’est clean ? Est-ce que c’est bon pour les environnements ? Est-ce que ce n’est pas un truc dégueulasse comme les lingettes, par exemple ? Donc là, on va regarder l’analyse de cycle de vie du produit. Donc, on est en train de déployer des ACV pour chaque nouveau produit qu’on lance pour vraiment regarder si ça fait une amélioration par rapport aux basiques du marché sur la même catégorie par rapport au produit qu’on avait avant, s’il y en avait un. Il faut qu’on apporte une amélioration. Ensuite, on regarde la marge. Hyper important. Il faut quand même aussi que tu regardes si le produit, il est à peu près dans le même pourcentage de marge que ta marge moyenne. Est-ce qu’il l’améliore ou pas ? Donc, c’est hyper important de ne pas opposer marge-profit et ces données plus sociales ou sociétales, comme tu dis. Donc, on est en train, petit à petit, si tu veux, de commencer à regarder toutes ces composantes pour se dire ce truc va améliorer le bien-être ou pas. Il va peut-être être plus dans la prévention, dans l’alternative. J’ai des produits qu’on lance qui sont une alternative aux opioïdes, contre la douleur. Tu te dis que c’est un truc qui peut apporter quelque chose à la société. Après, il faut que, comme c’est des TENS, donc c’est des électro-simulateurs, il faut que ce soit quand même en économie de la fonctionnalité, peut-être par abonnement, puis il faudrait qu’on puisse le réparer. Il y a tout plein d’enjeux aussi à aller regarder. Est-ce que c’est margeur, etc. Donc, il y a ce travail qu’on fait pour bien jauger l’impact sociétal positif ou pas des produits qu’on lance. On est loin du compte encore, mais on prend les méthodes pour y arriver. Ça, c’est un premier truc. Après, il y a aussi ce que fait ta marque en dehors des produits. Et on a tous conscience finalement que les marques sont très présentes dans la vie des gens. Donc du coup, une marque comme Mustela, tout ce qu’elle dit, tout ce qu’elle donne à voir sur la parentalité, ça a de l’impact. Ça peut avoir de l’impact négatif. Il y a des années, on faisait des produits en coffret cadeau de naissance et ils étaient roses pour les filles et bleus pour les garçons. Je cite souvent cet exemple parce que c’était il n’y a pas si longtemps, je veux dire, c’était il y a 5-6 ans. Et en fait, c’est aberrant de penser qu’on était encore en train de poser comme ça des dictats sur la couleur. Mais ça allait plus loin aussi, c’est-à-dire que les représentations de la parentalité étaient très axées mère, il n’y avait pas de père, très peu. Il n’y avait encore que des blancs. La diversité n’était pas au rendez-vous. Donc ça, c’est des choses qu’on a fait évoluer aussi. Puis après, si tu vas encore plus loin, c’est à quoi sert une entreprise dans la société au-delà de ses produits ? Et donc sur Mustela, comme la mission qu’on s’est donnée, c’est d’aider les parents à élever en bonne santé des enfants sur une planète en bonne santé, ça va beaucoup plus loin que juste laver les enfants et puis traiter l’érithème fessier. Donc là, on est en train de réfléchir à comment notre entreprise, par son activité, peut se mettre à générer du changement de comportement d’achat, donc le vrac, ça en fait partie, mais elle peut aussi générer de la prévention sur des maux de la parentalité, la dépression postpartum, des pères comme des mères. Et c’est quand même entre 20 et 30% des jeunes parents qui font leur premier enfant. Mais tu as aussi des effets beaucoup plus difficiles sur le retour à la sexualité des femmes après l’accouchement. C’est un peu un tabou. Elles n’osent pas dire à leurs hommes qu’elles n’ont pas envie de faire l’amour, que c’est douloureux. Donc ça, c’est des sujets qui n’étaient pas du tout traités. Et en fait, on est parfaitement légitime et pertinent pour donner la parole à des psychologues, etc. Et ça sert objectivement nos communautés, nos consommateurs et même les gens qui ne consomment pas, vont consommer des podcasts et des informations de ce type-là, dans lesquels on ne va pas parler de nos produits, parce que ce n’est pas l’enjeu. Donc, il y a cette idée vraiment de contribuer au bien-être au-delà même de nos produits. En revanche, il n’y a pas toujours un modèle économique derrière. Et ça, c’est un sujet sur lequel je ne suis pas encore satisfaite, parce qu’on n’est pas une association, on a une fondation qui s’appelle la Fondation Mustela, qui fait des choses magnifiques et qui n’a aucun lien avec la gouvernance du business Mustela, et c’est très bien comme ça. Là, ce qui m’intéresse, c’est qu’on arrive vraiment à craquer un modèle économique. Derrière notre impact sociétal, si tant est qu’on arrive vraiment à prouver qu’on a un impact sociétal majeur, si il y a dix personnes qui trouvent que c’est sympa, ce n’est pas suffisant. Dans chaque pays, maintenant, il y a un vrai travail sur le grand combat autour de la parentalité qui a été choisi par les équipes des filiales, parce qu’elles te disent, d’un pays à l’autre, en fait, ce n’est pas les mêmes combats. En Turquie, le partage des tâches entre les hommes et les femmes, c’est clé. En France, peut-être un peu moins, même si, bon, on n’y est pas encore. Aux États-Unis, c’est le retour au travail des femmes après un accouchement, elles ne retrouvent jamais leur boulot, etc. Au Portugal, c’est les sujets hyper tabous autour de la santé mentale, de la folie chez les enfants. Donc, chacun a choisi une cause qui lui est chère. Maintenant, ça reste un peu du mécénat. Et donc, tout l’enjeu, c’est de se dire comment on peut intégrer ces sujets-là dans notre modèle économique. Et on est accompagnés par l’ADEME sur le parcours EFC, c’est-à-dire Économie de la fonctionnalité et de la coopération, sur ce sujet-là. Parce que l’idée, c’est vraiment de te dire que c’est possible, en fait. Il est possible que dans 15 ans, Mustela, ce soit une marque qui vende autre chose que des produits issus de l’extraction végétale. Il y en aura toujours un peu, mais peut-être beaucoup moins, parce qu’on aura peut-être moins besoin de choses. Mais en revanche, il y aura peut-être un vrai travail autour de l’accompagnement psychologique des parents, autour peut-être de comment les professionnels de santé travaillent mieux entre eux pour avoir un suivi du patient qui soit extrêmement fluide et qu’il n’y ait pas des querelles de chapelle, tu vois, entre les disciplines médicales. Donc on est en train de spotter comme ça les endroits où on aurait de la pertinence et de la légitimité à venir créer un modèle économique. Mais il ne faut pas qu’on se substitue non plus à la puissance publique, donc ce n’est pas facile.

[Eric] En tout cas, on s’aperçoit qu’on a les trois grands angles de l’entreprise régénérative, qui est de réduire au minimum les impacts négatifs, de construire des impacts positifs, et puis d’aller au-delà et d’essayer de créer des effets, au-delà du périmètre de l’entreprise, et d’avoir un impact sociétal aussi, sans doute via des coopérations aussi, imaginer des partenariats. Donc, merci pour ça. Cette feuille de route, elle est hyper inspirante. On va revenir un peu sur le personnel. Est-ce que tu pourrais nous dire peut-être le moment le plus fort que tu as vécu pendant la CEC ?

[Sophie] Je crois que moi, même si effectivement la séance 1, dans laquelle tu nous plonges finalement dans une réalité, en fait, on pensait tous qu’on savait déjà. Et puis, je pense que quand tu vois la systémie du problème et son urgence, oui, ça te fait un plomb dans l’aile, mais ça te libère aussi. Moi, je me suis sentie très libérée parce que je me suis dis, je n’ai pas le choix, tu vois. Et je pense que de savoir ça, de savoir que maintenant que je sais tout ça, je ne peux pas faire comme si de rien n’était. Et j’ai un devoir finalement, mais même pour moi, pour ma santé mentale, d’agir de manière très radicale et au sens radical, au sens à la racine du problème. C’est quelque chose qui m’a plutôt désangoissée. Je me suis dis de toute façon, tu n’as pas le choix et il faut le faire. Ensuite, ce que j’ai beaucoup apprécié, moi, ça a été la session où on a parlé avec Pierre-Yves Gomez, qui depuis est devenu d’ailleurs le président de notre comité de mission. Parce que c’est un gars qui nous a vraiment ouvert les yeux sur le fait qu’il fallait changer notre boussole complètement, monitorer différemment notre entreprise. Et puis que la notion de croissance, infinie, etc., c’était extrêmement récent dans la vie des entreprises. Et c’est quand même très intéressant d’avoir ce recul-là, où tu te dis, mais j’ai l’impression qu’on ne pourra jamais sortir de ces grands schémas. Mais ces grands schémas, ils ont 30, 40 ans, c’est rien à l’échelle de la vie humaine. Et c’est même rien à l’échelle de la vie du capitalisme. Donc, ça, ça m’a aussi bien libérée. Et puis après, c’est les notions de robustesse qui m’ont beaucoup plu, que j’ai plus suivi après en tant qu’alumni. Mais c’est vraiment cette idée de dire, arrêtez de penser que ça va s’améliorer, les crises vont se succéder. Et donc, si vous ne faites pas ce qui doit être fait pour préparer votre entreprise à ces énormes changements, c’est vous qui n’êtes pas un bon professionnel finalement. Vous êtes en train de ne pas préparer la continuité de votre entreprise. Et ça, encore une fois, c’est quelque chose qui m’a beaucoup plu parce qu’on n’est plus en train de faire la morale aux dirigeants. J’ai pas besoin de faire la morale à mes clients ou à mon actionnaire. On est en train de se parler de survie de l’humanité et en plus de survie des entreprises. Et donc, moi, j’ai beaucoup plus de grippe et de pouvoir de conviction auprès des gens avec qui je parle, que ce soit des financeurs, etc. quand je leur dis, mais si vous pensez que les choses vont aller super bien, qu’on va trouver du pétrole pas cher, que les matières premières végétales vont pousser toutes seules, sans les abeilles, etc., vous vous foutez complètement le doigt dans l’œil. Et donc, quand tu leur dis ça, en fait, ils sont là, c’est vrai que ça va être un peu le bordel. Bah oui, ça va être le bordel. Donc, si on est juste en mode sauve-qui-peut et je prends le maximum de profits possibles ces cinq prochaines années. OK, faites-le si vous voulez. Mais dans cinq ans, vous aurez de toute façon un problème. Donc ça, cette anticipation-là, c’est vraiment quelque chose qui, moi, m’a beaucoup plu dans la CEC et qui m’a libéré mon pouvoir d’agir.

[Eric] Et au niveau plus personnel, finalement, toi, Sophie, dans ta famille, cette prise de conscience ? Alors, il y a prise de conscience du rôle de l’entreprise. Et finalement, ça semble très clair dans ton esprit quelle doit être l’entreprise de demain. Et quel est le nouveau paradigme d’un capitalisme respectueux ? Mais plus personnellement, sur ce que tu as vécu, peut-être, oui, qu’est-ce qui a changé ou qu’est-ce que tu as dit autour de toi par rapport à cette prise de conscience ?

[Sophie] Ce qui est rigolo, c’est que j’ai fait la CEC en couple, parce que mon mari dirige Singa, enfin dirigeait Singa à l’époque. Et il a participé avec son association à la CEC. Et donc, j’ai envie de dire, pour nos amis, voisins et famille, ça a été un enfer. Parce que on rentrait des deux jours de CEC, on ne parlait que de ça pendant les trois jours qui suivaient. Donc, nos enfants, comme nos amis proches, ils sont comme nous maintenant. C’est-à-dire qu’ils ont été, je pense, embarqués. Il y a eu une petite période aussi où j’ai mon fils, le plus jeune, qui m’a dit, on peut arrêter de parler du climat et de l’effondrement, parce que c’est vrai que ça peut être angoissant. Donc j’ai eu une période un petit peu trop énervée, où j’avais besoin de convaincre tout le monde de l’urgence, un peu en passionaria. Aujourd’hui, je suis beaucoup plus convaincue qu’on vit une époque formidable. Alors bon, ça peut paraître bizarre de dire ça à cette période automnale de 2024, où globalement c’est un peu la merde partout, il y a des guerres partout et tout, mais je pense qu’on est dans une période d’extrême changement. On va vivre des décennies incroyables. Elles ne vont pas être simples, elles ne vont pas être faciles tous les jours, mais au moins, c’est dans nos mains. C’est-à-dire que ça va forcément changer, qu’on le veuille ou non. Et donc, être à ce rendez-vous de l’histoire, je trouve que c’est quand même assez excitant. Et même par rapport à mes enfants, j’ai eu une période où je me disais, ça va être terrible pour eux, ils vont vivre des moments difficiles et tout. Et en fait, je me dis, ouais, mais par rapport à ma jeunesse, où j’avais l’impression de toute façon qu’il fallait rentrer dans une sorte de moule, et ça ne me plaisait pas d’ailleurs, je pense qu’eux, on ne va pas leur parler de moule. On va leur dire, guys, il va falloir inventer des nouvelles choses. Donc ça peut être angoissant et tout, mais c’est quand même assez extraordinaire d’être là aux premières loges.

[Eric] Si tu avais l’occasion d’expliquer à un enfant de 10 ans, qu’est-ce qu’une entreprise régénérative, qu’est-ce que l’économie régénérative à cet enfant de 10 ans ? Comment tu l’expliquerais ?

[Sophie] Moi, je l’ai déjà fait, donc c’est facile. Tu vois, une entreprise, pour fabriquer ses produits, elle prend des matières, elle utilise de l’énergie et elle transporte en général ses produits très très loin. Donc, son activité d’aujourd’hui fait du mal à la planète, la nature, le climat, si elle ne fait pas attention. Et donc, une entreprise qui veut être régénérative un jour, c’est une entreprise qui, à chaque fois qu’elle va être en train de faire son activité, au lieu de détruire la nature ou les écosystèmes, elle va les réparer. Et c’est pour ça que c’est difficile. C’est difficile d’inventer une entreprise où, à chaque fois que tu fabriques un produit, le fait de fabriquer ce produit ou ce service aide à améliorer et à réparer les choses. Et ça veut dire quoi ? Ça veut dire que l’activité d’aujourd’hui, elle prépare et elle répare demain. C’est un peu l’inverse de ce qu’on fait aujourd’hui dans les entreprises. L’activité d’aujourd’hui, détruit le futur. Donc, c’est ça qui est dur et en même temps, c’est ça qui est passionnant parce que chaque jour, on se lève en se disant, moi, si j’y arrive un jour, je pourrais me dire que chaque production que je fais répare le futur pour les enfants.

[Eric] On va prendre une perspective un tout petit peu différente puisqu’en fait, la théorie du changement de la CEC, qui est une association, c’est qu’il y ait plein de dirigeants d’entreprises, de dirigeantes, qui s’engagent vers la visée régénérative et que tous ces leaders, finalement, influencent le monde économique pour que la pensée régénérative devienne une nouvelle normalité. Donc, c’est une théorie du changement qui part des personnes. Mais on a quand même un acteur dans le monde économique qui est la force politique. Si tu avais une baguette magique, Sophie, qu’est-ce que tu changerais dans le monde politique pour mettre du vent dans les voiles et aider les entrepreneurs qui s’engagent vers le régénératif ? Et je sais que c’est une question très difficile.

[Sophie] Oui. C’est difficile parce que je ne suis pas suffisamment forte sur les institutions, mais je pense qu’on a un problème institutionnel de temps long et temps court. C’est-à-dire que finalement, on n’est pas capable de faire de la politique au-delà des échéances électorales. On est sur des temps de 4, 6 ans au maximum. Donc aujourd’hui, ils ne sont pas en mesure de prendre des décisions qui vont nous permettre de planifier la transition écologique correctement, la redirection écologique. Le local est beaucoup plus en capacité de réfléchir à de la planification. Donc il faudrait en fait décentraliser complètement. J’ai l’impression que la décentralisation peut peut-être être une solution parce que les territoires auront peut-être un peu plus de vista, de vision long terme. Et je pense qu’ils sont aussi très au contact finalement des dures réalités, à la fois des agriculteurs, des entreprises, mais aussi des associations qui en fait font le boulot de la puissance publique sur plein d’aspects, en étant très mal payées.

[Eric] Et alors, on arrive sur les deux dernières questions pour toi, Sophie. Quand tu as l’occasion de t’exprimer, soit en table ronde, devant des dirigeants d’entreprise, soit dans des clubs de dirigeants, sur l’engagement vers l’entreprise régénérative, qu’est-ce que tu donnes comme argument pour essayer de leur donner envie de rejoindre ce mouvement ?

[Sophie] Je leur dis trois choses. Je leur dis, un premier truc, il faut que vous commenciez, une fois que vous savez que l’ensemble de votre corps social a conscience du constat climatique et planétaire, en général les limites planétaires. Ne commencez pas seul si vous n’avez pas assuré une forme de sensibilisation globale de votre corps social, sinon ce ne sera pas accepté. C’est un premier truc, donc vraiment partir d’un constat commun. Et quand je parle du corps social, c’est même interne et externe. C’est-à-dire vos clients, vos fournisseurs, un minimum quand même de votre écosystème de travail. Le deuxième, c’est revoyez votre raison d’être assez vite. Parce que quand vous partez du constat que les limites planétaires sont bel et bien existantes, en général, vous avez des gens qui vous disent mais du coup, ça sert à quoi qu’on se lève le matin, qu’on vienne bosser ? Si finalement, c’est la merde, et puis notre entreprise, elle contribue aussi à cette merde ? Donc, revoyez votre raison d’être collectivement. À quoi on sert ? Est-ce que l’utilité de mon entreprise, elle est claire ? Si elle ne l’est pas, je la redéfinis. Parce que si je ne fais pas ça, finalement, tout le reste sera des injonctions contradictoires. Donc ça, c’est intéressant et important de le faire. Et ensuite, assez vite, la troisième chose qu’il faut se poser, c’est quelle est la définition du succès et de ma performance dans mon entreprise ? C’est-à-dire, c’est quoi ma boussole ? Comment je définis le succès ? Parce que si, ok, j’ai défini une autre mission, aider les gens à façonner leur bien-être, mais je regarde mon succès uniquement à l’aune de ma profitabilité, on a un petit problème. Donc là, il faut faire en sorte que ton système d’indicateurs de performance soit cohérent avec l’utilité de ta boîte et en tout cas, le sens que tu donnes à ta boîte. Ça, c’est vraiment pour moi les trois choses qu’il faut faire. Donc, arrêtez de vous poser la question de est-ce qu’il faut le faire ? Oui, il faut le faire si vous ne le faites pas. De toute façon, votre entreprise ne survivra pas aux 20 prochaines années. Ça, c’est clair. Et la deuxième question, c’est comment le faire ? Commencez par le commencement. Sensibilisez tout le monde. Redéfinissez votre utilité. Redéfinissez votre succès. Et puis ensuite, posez-vous la question de votre écosystème parce que c’est souvent par ces alliés-là. que vous allez trouver des solutions à des problèmes qui peuvent paraître très complexes.

[Eric] Alors, on arrive à la toute dernière question, Sophie. Les nouvelles générations, elles sont souvent très inquiètes pour leur avenir, pour l’avenir de la planète et de l’habitabilité de la planète. Finalement, aujourd’hui, avec tout ce que tu as compris, tout ce que tu as ressenti, ce serait quoi ton message pour les générations futures ?

[Sophie] Les générations futures, ou tu veux dire les jeunes de maintenant ? Parce que ce n’est pas trop dans le futur que ça va se produire. Les générations qui arrivent là maintenant, qui vont être bientôt en responsabilité. Ce que j’ai envie de leur dire, c’est de vouloir, d’arrêter d’espérer. Je pense que ma génération, on a été beaucoup trop dans l’espoir et l’attentisme. Et aujourd’hui, ce qui me fait avancer, c’est que je ne veux plus attendre qu’il y ait un saint homme présidentiel, providentiel, qui vienne nous sauver. Je n’y crois pas. Donc je pense que c’est dans nos mains. Mon objectif, ce n’est pas de dire aux jeunes, nous on a merdé, donc c’est à vous de le faire. Je pense que ce serait vraiment une bêtise, puisque là, c’est ma génération qui est au pouvoir aujourd’hui, ce n’est pas les jeunes. Donc ma génération, elle a le devoir de se changer et d’agir. Donc il faut vouloir changer, il faut arrêter d’espérer. Et aux plus jeunes, j’ai un truc à leur dire et que je dis un peu aux étudiants de l’ESCP quand je fais le séminaire d’introduction sur les limites planétaires. C’est ne partez pas du principe qu’à partir du moment où vous rentrerez dans une entreprise, il faut enfiler le costume du connard. Personne ne va vous demander de faire ça. Et si quelqu’un vous le demande, dans ce cas-là, changez d’entreprise. Mais je pense que là-dessus, il faut partir du principe que tout ce que l’ancien monde va vous demander de faire, parce qu’on a toujours fait comme ça, il faudra le questionner. Questionner l’ancien monde systématiquement. Et quand quelqu’un dit on a toujours fait ça comme ça oui, regardez où on en est arrivé. Donc je pense que là-dessus, il faut dire aux jeunes, n’hésitez pas à tout faire péter.

[Eric] Alors, merci beaucoup, Sophie. On avait parlé de trois mots. Le mot courage, je crois que tu as montré combien tu en fais preuve et sous toutes ses facettes. On avait parlé d’authenticité. Je pense que ton franc parler est confirmé. Et puis, merci aussi pour le pragmatisme, parce que très rarement, on va aussi profondément dans des leviers très concrets. On a parlé d’eau, on a parlé de matières premières, de territoires, d’agriculture. Et ça, c’est vraiment ce dont on a besoin pour rendre tangible l’économie régénérative. Donc, merci pour tout ça, et en route pour le CAP Regen !

[Sophie] Merci à toi et à tous les gens qui travaillent autour de toi sur ce projet de la CEC. Merci pour tout ce que vous faites.

Partagez cet article

LinkedIn
Facebook

CAP Regen, le podcast qui concrétise l’économie régénérative !

Courage, Authenticité, Pragmatisme… C’est le pacte que fait Eric Duverger, fondateur de la CEC, avec un dirigeant en chemin vers le régénératif ou un expert de l’écosystème de la régénération pour un échange éclairant, inspirant et réjouissant autour de la transformation des entreprises. Un décryptage sans filtre des nouvelles approches à visée régénérative pour les entreprises et un retour d’expérience sur les motivations, les leviers et les freins à leur mise en œuvre.

Compréhension profonde des enjeux environnementaux, transition intérieure du dirigeant, changement de leadership et de gouvernance, reconnexion au vivant de l’entreprise, évolution du modèle économique et de l’offre, monitoring de l’impact… un shoot d’inspiration qui régénèrera votre envie de transition !

Lire aussi

Toutes les ressources

Études de cas

Découvrez les analyses conjointes de Bpifrance Le Lab, Lumia et la CEC sur les entreprises du premier parcours CEC qui déploient des Feuilles de Route à visée régénérative.

Découvrir »

Podcasts

CAP Regen, le podcast qui concrétise l’économie régénérative !
Courage, Authenticité, Pragmatisme… C’est le pacte que fait Eric Duverger, fondateur de la CEC, avec une dirigeante ou un dirigeant en chemin vers le régénératif pour un échange éclairant et réjouissant autour de la transformation des entreprises. Un décryptage sans filtre des nouvelles approches à visée régénérative pour les entreprises et un retour d’expérience sur les motivations, les leviers et les freins à leur mise en œuvre.

Découvrir »

Baromètre Alumni CEC

Chaque année, nous interrogeons les Alumni sortis des parcours CEC sur la mise en oeuvre de leur Feuille de Route : avancement, leviers, obstacles… et publions leurs réponses dans notre baromètre.

Découvrir »

Rapports et Feuilles de Route

Une grande bascule vers l’entreprise régénérative. Découvrez nos rapports de fin de parcours qui compilent les apprentissages, résultats et méthodologies développées au cours de plusieurs mois de travail.

Découvrir »

CAP : le magazine de la CEC

CAP signifie « Créer d’Autres Perspectives ».  CAP est accessible à tous, pour interpeler, intéresser et inviter tous les collaborateurs de toutes les entreprises à la redirection écologique de l’économie.

Découvrir »