Un LBO (Leverage Buy-Out) pour accompagner les transitions : Cetih témoigne
- Carine Girard-Guerraud
- Session 3
INTERVIEW
Spécialisé dans les secteurs de l’enveloppe de l’habitat et de la rénovation énergétique, Cetih a fait évoluer son capital en 2021 via une opération LBO pour consolider l’indépendance et la pérennité de l’entreprise. La nouvelle articulation du capital lui permet d’allier fonds de dotation philanthropique (35%), actionnariat salarié et direction renforcés (33%) et fonds d’investissement choisis (32%). Le groupe ouvre ainsi la voie à un modèle innovant fondé sur une gouvernance ouverte et collective et une responsabilité environnementale et sociale accrue.
Carine Girard : Avant de réaliser le LBO, comment l’entreprise était-elle engagée dans la transition écologique ?
Matthieu Cathelinais, directeur financier et administratif de Cetih : Une démarche RSE est mise en place depuis plus d’une quinzaine d’années. Articulée autour de cinq enjeux bien définis (transition énergétique ; économie circulaire ; bien travailler et vivre ensemble ; santé, sécurité et implication sociétale), elle permet à Cetih d’activer un ensemble de leviers : suivi des déchets, et consommation d’énergies, éco-conception, gaz à effet de serre, santé-sécurité, handicap, égalite femme-homme, partage de la valeur, gouvernance, mécénat, actionnariat salarié. Portée par l’ensemble des salariés et animée par des porteurs d’enjeux, cette démarche donne lieu à un rapport RSE édité tous les cinq ans permettant de diffuser les initiatives et résultats aux salariés et aux parties prenantes.
Par ailleurs, la certification avec LUCIE est mise en place depuis 2009. Et nous avons contractualisé en 2020 avec Arkéa un prêt PACT (1) ; des covenants extra-financiers permettent à CETIH de se comparer à un benchmark d’entreprises industrielles en matière de RSE.
Pourquoi avoir choisi un LBO ?
L’opération ne peut pas être résumée à un LBO mais elle y ressemble un peu. Derrière et en toile de fond, c’est toute une stratégie décidée par la gouvernance il y a des années qui s’accélère.
A l’origine, il y a la transmission de la présidence de Yann Rolland à François Guérin, qui a fait évoluer le capital de Cetih afin de consolider l’indépendance et la pérennité de l’entreprise. Concrètement, la nouvelle articulation du capital permet d’allier fonds de dotation (35%), actionnariat salarié (33%) et fonds d’investissement choisis (32%).
Engagé depuis plusieurs années dans une politique RSE poussée, Cetih inscrit en 2021 cet engagement dans ses statuts en devenant “entreprise à mission” : le groupe « s’engage pour une entreprise et un habitat harmonieux, durables et tournés vers l’humain ». Autour de cette raison d’être, sa feuille de route se dessine autour de trois objectifs : “Vivre et innover” qui consiste à placer l’environnement au cœur de la stratégie en agissant et innovant à toutes les étapes du cycle de vie ; “Vivre et travailler” où l’action est mise au service de l’humain en cultivant des relations responsables avec les salariés et les parties prenantes ; “Vivre et s’engager” qui vise à agir pour un développement pérenne permettant l’indépendance et un juste partage de la valeur avec les équipes et les territoires.
En parallèle, sur le plan financier, une dette a effectivement été mise en place sur le même principe qu’un LBO pour accompagner la restructuration du capital. Et la présence du fonds de dotation permet de limiter sa taille.
Quelles sont les singularités du montage mis en place ?
Yann Rolland a transmis de façon irrévocable 40% de sa participation à un fonds de dotation philanthropique qui devient actionnaire à 35%. Ce fonds percevra des dividendes exclusivement destinés au mécénat et aux associations solidaires.
En parallèle, au terme d’une procédure de sélection, Cetih a choisi trois fonds alignés sur les enjeux stratégiques et le modèle de l’entreprise, qui représenteront 32% du capital. Tikehau T2 qui est un fonds dédié à la transition énergétique et principal investisseur dans l’opération, Ouest Croissance qui est à la fois un investisseur régional engagé et un partenaire historique de Cetih, et Quadia, un acteur d’une économie responsable et régénérative
Le reste du capital est, quant à lui, détenu par 715 salariés : ce sont 515 collaborateurs de plus qu’avant l’opération. Ce développement a été permis notamment grâce à la création d’un FCPE dans le plan épargne de l’entreprise qui permet à chacun de faire un versement volontaire ou de placer sa participation et intéressement.
Enfin, un comité stratégique regroupe le représentant des salariés actionnaires, un membre de chaque fonds et quatre dirigeants d’entreprise qui apportent des regards et expertises complémentaires. Cette instance est complétée d’un comité de mission, élément constitutif de l’entreprise à mission (loi Pacte), qui est composé de parties prenantes internes et externes. Ces deux organes permettront d’assurer l’articulation de la stratégie et de la mission de l’entreprise, en dialogue avec l’ensemble de ses parties prenantes.
Comment cette structure financière permet-elle à Cetih d’aller encore plus loin dans son engagement écologique et social ?
Le nouveau montage permet une répartition équilibrée de la valeur créée avec un engagement fort autour de la mission. L’actionnariat permet d’instituer une gouvernance ouverte où chaque décision est enrichie par des parties prenantes externes mais aussi internes.
Les financiers et créanciers qui ont participé à l’opération ont accepté de mettre en place des covenants extra-financiers qui sont calés sur les indicateurs de la mission de l’entreprise. De plus, Quadia enrichit la démarche de suivi en apportant sa matrice d’impact. De fait, les indicateurs impactent directement et indirectement la création de valeur.
Enfin, un organisme tiers indépendant (OTI) audite et livre un avis sur l’exécution des objectifs de la mission.
Pour conclure, peut-on dire qu’il est possible de concilier logique financière et environnementale ? Si oui, est-ce que cela passe par la mise en place d’un outil performatif piloté par une direction administrative et financière ?
Le montage actuel nous met en position de réconcilier performance extra-financière et financière en développant notre mission. Il nous engage dans le suivi et son contrôle avec le comité mission, l’OTI, notre système de suivi, nos actionnaires et les covenants.
Néanmoins, ce système cohérent est nécessaire mais pas suffisant. Il faut aussi mobiliser le collectif qui doit faire vivre notre mission ainsi qu’un suivi précis de toutes les actions et chantiers mis en œuvre. Car, à la fin, c’est bien une transformation que nous engageons et celle-ci devra se mesurer clairement avec nos indicateurs d’impact.
(1) Réservé jusque-là à des montants moyens compris entre 100 et 500 M€ auxquels seules de grandes entreprises européennes pouvaient prétendre, PACT est un prêt à impact dédié tant aux PME et ETI déjà engagées dans une démarche RSE qu’à celles qui la démarrent et ont besoin d’outils pour structurer leur démarche. Accessible dès 3 M€ sur une durée comprise entre 5 et 15 ans, il prévoit une bonification pouvant atteindre jusqu’à 20 % d’économie sur les frais financiers.
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Carine Girard-Guerraud
Professeure à Audencia Business School Nantes, Carine Girard-Guerraud enseigne l’ingénierie financière et la gouvernance d’entreprise. Ses recherches portent sur l’activisme et l’engagement des actionnaires ; l’innovation financière (en particulier, l’equity crowdfunding) ; la faillite et la gouvernance d’entreprise. Elle coordonne actuellement des contrats de recherche sur le financement des spin-offs et start-ups deeptech et sur l’actionnariat dans les sociétés à mission.
Matthieu Cathelinais
Après avoir exercé des postes financiers en environnement industriels et internationaux dans des entreprises indépendantes familiales et cotées (Lise Charmel pendant cinq ans ans, Haulotte Group durant douze ans), Matthieu Cathelinais a rejoint Cetih en qualité de directeur administratif et financier il y a un peu plus de 3 ans.
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