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Vers une comptabilité radicalement innovante : compter ce qui compte vraiment

La comptabilité multi-capitaux a été au cœur de la session 3 de la CEC consacrée à la mesure de la performance et à la finance durable. A l’heure où de plus en plus d’entreprises prennent conscience de leur dépendance au monde vivant comme de leurs impacts négatifs, transformer les référentiels comptables pour qu’ils prennent en compte non seulement le capital financier mais aussi le capital naturel et humain – favorisant in fine une création de valeur (vraiment) durable, est un impératif.
Vers une comptabilité radicalement innovante : compter ce qui compte vraiment
Stéphanie Dubois Dewynter

Le chiffre est le langage de l’entreprise : bottom line, Ebitda, rentabilité, autofinancement, Capex, ROI, valorisation… autant de termes familiers pour les dirigeants. Ces chiffres sont bien souvent utilisés comme arguments des principales décisions stratégiques structurantes pour l’avenir de chaque entreprise. 

Mais sommes-nous certains de “bien compter”, c’est-à-dire de compter ce qui compte vraiment, pour des entreprises durables et viables au 21e siècle ? A-t-on la compréhension de l’histoire et des postulats implicites des référentiels nationaux et internationaux de notre comptabilité ? 


Des référentiels actuels non adaptés pour évaluer la dépendance et les impacts

Rares sont les dirigeants, et même les directeurs financiers, qui ont identifié les manquements de nos plans comptables nationaux ou des IFRS (International Financial Reporting Standards). Ces référentiels présentent un défaut de conception majeur : ils ne donnent lecture essentiellement que d’un des capitaux : le capital financier. Ils ne permettent donc pas de prendre la juste mesure de la dépendance et des impacts d’une activité économique envers deux autres capitaux : le capital naturel et humain. 

Cette dépendance essentielle de notre économie à un monde “vivant” (c’est-à-dire qui dépend du bon respect des “limites planétaires” – scientifiquement décrites par le Stockholm Resilience Center) est un impensé de la comptabilité du 20e siècle. Celle-ci est donc le plus souvent inapte à évaluer la Value at Risk des activités productives dans un monde de raréfaction en ressources, et inadaptée pour favoriser une transformation des entreprises vers une création de valeur (vraiment) durable.

Pourtant, de nombreux experts académiques (Martin Schaltegger en Allemagne, Jacques Richard à Paris Dauphine, Delphine Gibassier à Audencia Business School) ont travaillé à innover radicalement dans la discipline comptable. 

“La dépendance essentielle de notre économie à un monde “vivant” est un impensé de la comptabilité du 20e siècle.”

Fermes d’Avenir, Décathlon, Naos expérimentent la comptabilité multi-capitaux

Décrivons ici rapidement quelques expérimentations et leur champ d’application. En 2017, Fermes d’avenir a souhaité appliquer l’approche CARE (Comptabilité Adaptée au Renouvellement de l’Environnement) à trois fermes : deux fermes agro-écologiques et une ferme en conversion d’un modèle d’élevage conventionnel à celui d’une polyculture-élevage en bio. Ces travaux ont permis de visualiser au compte de résultat le modèle économique et les dépenses permettant une opération écologique (et de les budgéter), et au bilan de visualiser la “vraie valeur” de ces fermes, en particulier leur valeur accrue en raison de la préservation de sols vivants – l’un des actifs stratégiques pour une ferme durablement prospère.  

L’usage de comptabilité en triple capital ne se limite pas aux acteurs les plus engagés dans la transition au sein du secteur agricole. De grandes entreprises de tradition familiale comme Décathlon ou Naos (Bioderma) en sont les témoins. Pas de transition écologique sans avoir investi dans les “bonnes boussoles”, mis en place dans les budgets des lignes adaptées (investissements verdissants), défini des systèmes de rémunérations variables indexées sur la vente d’éco-variantes des produits, dialogué avec l’actionnaire majoritaire sur la base d’un projet de création de valeur durable, et pas seulement sur le résultat trimestriel.

 

Mobiliser l’intelligence du coeur des DAF et DG

En 2022, comment favoriser l’adoption de ces outils par les boards, les DG ou les DAF : l’argument rationnel d’une robustesse accrue de l’entreprise est-il suffisant ? Il est probable que non. L’observation des pionniers de la transition permet d’affirmer comme Antoine de Saint-Exupéry que « l’essentiel est invisible pour les yeux, et qu’on ne voit bien qu’avec le cœur »

Dit autrement, ces outils deviennent une évidence dès lors que nos dirigeants d’entreprise acceptent de mobiliser aussi leur intelligence du cœur : l’empathie pour le vivant sous toutes ses formes et les générations futures, l’intuition que ce qui semble bon sera juste, le courage d’innover et d’explorer de nouveaux chemins. Dès lors, une comptabilité “qui parle vrai” en soutien d’une économie du “prendre soin” ne paraît plus un supplément d’âme, mais une nécessité pour préserver notre humanité au 21e siècle.

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Hélène Le Teno

Hélène Le Teno

Hélène Le Teno est directrice de Jean-Noel Thorel Foundation (fonds actionnaire de Naos), membre du conseil scientifique de Audencia Business School et administratrice de Heart Leadership University. Elle est également l’autrice de trois ouvrages autour des leviers d’une transition écologique : “Miser (vraiment) sur la transition écologique” (avec Alain Grandjean, Editions de l’Atelier, 2014), “Choisir son monde – Agir au quotidien avec les entreprises sociales écologiques” (avec Jean-Marc Borello, Editions de l’Atelier, 2017), “L’écologie, un modèle de société ?” (Broché, 2020).

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