Finance à visée régénérative
- Isabelle de Fraiteur
- 12/11/2024
- Économie régénérative, Nouveaux imaginaires, Vivant & Biomimétisme
La durabilité apparait comme un concept humain, que nous avons cherché à définir et à objectiver autour d’une vision principale : réduire les impacts négatifs des activités humaines pour conserver un état stable, comme le stipule parfaitement le rapport Brundtland de 1987 : « répondre à nos propres besoins sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs ».
Le schéma ci-dessus évoque une trajectoire écologique, la durabilité en son centre avec des principes de régénération se situant au-delà et s’opposant au design mécanique, linéaire et dégénératif.
A l’inverse de la durabilité, qui s’inscrit principalement dans la résolution de problèmes, la régénération cherche à restaurer et renforcer les capacités des écosystèmes à se renouveler. S’inspirant des processus biologiques, la régénération recherche les potentialités et non les solutions, de fait, elle peut initier des idées plus radicales et transformatrices.
Bien que la durabilité ait évolué récemment en incluant la recherche d’impacts positifs, cette approche se limite à la gestion des crises environnementales sans chercher leurs racines culturelles et psychologiques.
« Les problèmes environnementaux constituent les symptômes d’une relation brisée entre les humains et le reste du vivant. La problématique centrale étant d’ordre culturel et psychologique plus que technologique. Sa résolution nécessiterait de transformer la manière dont les humains jouent leur rôle en tant que membres d’une planète vivante et interconnectée »
Selon Bill Reed : «La durabilité correspond au chemin vers la prise de conscience que tout est connecté, la conscience que les systèmes commerciaux, de construction, sociétaux, géologiques, et la nature forment un seul et même système de relations intégrées ; que ces systèmes sont autant de coparticipants à l’évolution de la vie».
Cette approche, introduite par Regenesis en 1995 sous l’appellation “développement régénératif”, met l’accent sur une co-évolution symbiotique entre les êtres humains et la nature. Elle invite à une refonte des systèmes économiques pour promouvoir non seulement la résilience, mais aussi la créativité et la diversité. Bill Reed voit en effet dans la « pensée holistique et écosystémique” les deux piliers du changement de paradigme nécessaire pour créer une économie régénératrice.
Est-ce que les 17 Objectifs de Développement Durable définis par l’ONU en 2015 s’inscrivent dans cette pensée holistique développée par Bill Reed ? Selon Daniel Christian Wahl, ce référentiel des ODD est une étape importante pour tendre vers la régénération, à condition de prêter attention à l’ODD 8. Serait-ce la clé de voûte pour prendre ou non le pont de la régénération ? Daniel Christian Wahl invite pour cela à sa re-formulation « Travail décent et croissance économique » en « Bon travail et croissance qualitative » car la perpétuation de l’impératif de croissance structurellement conçue dans notre système économique actuel ne peut, selon lui, que contribuer à saboter la mise en œuvre de tous les autres objectifs. La question qui est soulevée ici suppose de repenser un système économique et financier plus apte à franchir le pont de la durabilité vers la régénération par des pratiques plus systémiques et dans le même temps à rechercher d’autres types de valeurs que la seule quête de profit.
John Fullerton, qui connait parfaitement les marchés financiers et qui a fait une grande partie de sa carrière chez JP Morgan et à Wall Street, propose une autre vision économique fondée sur 8 principes écologiques et éthiques qui transcendent la logique de croissance illimitée :
- L’économie régénérative reconnaît que tous les systèmes économiques, sociaux et écologiques sont interconnectés et interdépendants. Les investissements doivent être réalisés en tenant compte de l’impact global sur l’écosystème et les communautés.
- Contrairement aux approches traditionnelles axées sur le rendement à court terme, l’économie régénérative valorise des investissements qui créent un impact positif durable. Elle cherche à générer une valeur “multicapitaux” – économique, sociale, culturelle et environnementale.
- L’économie régénérative défend une répartition équitable de la richesse. Fullerton soutient que le système financier doit éviter les inégalités excessives en redistribuant les richesses de manière à soutenir des communautés locales et dans le même temps, a l’obligation de rendre des comptes sur les impacts sociaux et environnementaux de ses investissements. Cela nécessite une transparence totale dans les décisions d’investissement, avec des indicateurs qui mesurent le bien-être général, au-delà des seuls rendements financiers.
- Dans une économie régénérative, l’innovation est de mise et les investissements doivent favoriser la diversité et l’adaptabilité pour mieux répondre aux changements et aux crises. Plutôt que de maximiser l’efficacité pour le profit, l’objectif est de promouvoir une résilience qui protège les écosystèmes et les communautés humaines.
Cela ramène ici à “l’espace juste et sûr” de Kate Raworth (Doughnut Economics), au territoire symbiotique d’Isabelle Delannoy et au concept « glocal » (ou de bio régionalisme) de Daniel Christian Wahl où les actions locales et les enjeux globaux s’interconnectent. Dans ce type de vision, chaque communauté agit à son échelle pour répondre aux défis écologiques, tout en contribuant à un changement global. L’idée est que les solutions locales soient adaptées au contexte spécifique de chaque territoire, en tenant compte des caractéristiques écologiques, culturelles et économiques, mais qu’elles participent en même temps à un effort commun contre le réchauffement climatique. Wahl considère que les défis mondiaux, comme le changement climatique, sont trop complexes pour être résolus uniquement par des politiques globales. En s’appuyant sur des initiatives locales inspirées par des principes régénératifs, chaque acteur (entreprises, organisations financières, collectivités, ONG..) d’un territoire donné, incluant les communautés humaines et non humaines, peuvent expérimenter la recherche de co-bénéfices et co-évoluer ensemble. Chaque partie prenante d’un territoire donné est ainsi invitée à repenser la mission même de ses activités dans un souci de voir au-delà de l’activité-même.
Nous habitons l’écosystème Terre et en consommons les ressources 1,7 fois plus vite que ce que la Terre est capable de régénérer. Dans le monde de l’entreprise et de la finance, on appelle ça un retour sur investissement négatif. Nous comprenons ici que les enjeux de durabilité ne s’opposent pas aux principes de régénération mais que réduire, compenser et même contribuer ne suffira pas. Pour espérer prendre le pont de la régénération et faire advenir une économie et une finance à son service, nous devons repenser notre rapport au monde et notre manière de faire société avec le vivant. Si les activités économiques proches du vivant comme l’agriculture conçoivent plus aisément le concept de régénération, les activités économiques en général et les activités financières en particulier ont plus de difficultés à appréhender leur lien au vivant. Pour ces dernières, c’est en questionnant les impératifs de croissance, en s’interrogeant sur leur mission et leurs pratiques d’investissement et en recherchant l’alignement d’intérêts avec leurs parties prenantes qu’elles peuvent espérer se mettre au service du maintien en bonne santé de l’ensemble des écosystèmes vivants dont elles font partie et dont elles dépendent.
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Sources et envie d’en savoir plus ?
• Régénérer – principes fondateurs et pratiques inspirantes pour les entreprises et les territoires – Ben Haggard – Pamela Mang Regenesis https://regenesisgroup.com
• Designing Regenerative Cultures Daniel Christian Wahl https://www.danielchristianwahl.com/
• Entreprise symbiotique et spec Afnor Entreprise régénérative, Isabelle Delannoy et Afnor https://www.afnor.org/actualites/leconomie-regenerative-pose-une-premiere-pierre-en-normalisation/
• Rapport final parcours Monde financier, Convention des Entreprises pour le Climat, octobre 2024 https://cec-impact.org/wp-content/uploads/2024/10/Rapport-final-CEC-Parcours-Monde-Financier-2023_Web_compressed.pdf
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