“La méthode CEC est déjà, quelque part, un nouveau récit”
- Emilie Thiry
- 07/01/2025
- Économie régénérative, Nouveaux imaginaires, Parcours CEC
Aude Chabrier, co-lead programme du parcours CEC Nouveaux Imaginaires, et Michaël V. Dandrieux, sociologue de l’imaginaire – Photo Thierry Mesnard
[Émilie Thiry] Nous entendons régulièrement parler de nouveaux récits, de nouveaux imaginaires, mais nous avons encore du mal à préciser ce qu’il y a derrière ces notions. Quelle définition leur donnez-vous ? Sont-elles interchangeables d’ailleurs ?
[Aude Chabrier] C’est effectivement important de clarifier la sémantique. Je partagerai ici la distinction opérée par Michaël Dandrieux, sociologue des imaginaires, qui nous a livré sa vision lors de la session 3. Les imaginaires sont toutes les représentations que les individus absorbent depuis leur naissance, et qui les façonnent. Nous ne pouvons avoir prise sur les imaginaires, seulement sur les récits qui contribuent à les nourrir, à les impacter. A cela nous y accolons la notion de « nouveaux » pour signifier que les récits d’aujourd’hui ne conviennent pas et qu’ils doivent être renouvelés. Mais là encore, Michaël Dandrieux nous met en garde : cette volonté de créer de nouveaux récits, c’est encore et toujours se placer en posture haute.
[Émilie Thiry] Justement, quel est le problème des récits aujourd’hui ?
[Aude Chabrier] Selon les émetteurs, les problématiques vont être différentes. Dans les médias, nous avons un sujet de proportionnalité. La thématique de l’environnement – qui nous touche pourtant tous- est traitée dans à peine 2-3% des sujets. Et qualitativement ce n’est pas au niveau : manque de recours aux (vrais) experts, mise en avant des conséquences plutôt que des causes, etc…
Côté publicité, nous avons un sujet de volume. Nous absorbons plusieurs milliers de messages publicitaires chaque jour, principalement pour des produits et services nocifs voire climaticides : junk food, SUV, voyages en avion, etc… Nous pouvons aussi citer les problématiques de greenwashing.
Comme nous l’a rappelé l’historien David Colon, l’argent – et notamment celui des industries polluantes, a largement été investi dans la propagande et la fabrique du doute. À cela nous pouvons ajouter la guerre de l’attention et le volume de contenu qui vont croissant avec l’arrivée de l’IA, et le fait que les récits soient toujours écrits par les mêmes, avec les mêmes biais de représentativité.
Ecole dans la forêt, sécurité sociale de l’alimentation, low tech… les participants découvrent un archipel d’îlots du monde déjà là, en Session 3 – Photos Thierry Mesnard
[Émilie Thiry] Quels sont les nouveaux récits dont nous avons besoin ? Comment les faire émerger ?
[Aude Chabrier] Plutôt que de se concentrer sur le “quoi”, nous essayons de donner aux participants des éléments sur le “comment” écrire un nouveau récit. Car si nous donnons le “quoi”, alors nous perpétuons un modèle de récit descendant, du récit dominant. Se demander “comment” changer les récits, c’est se poser la question de qui les écrit. Pour que changent les récits, il est important de les faire écrire par d’autres, ou a minima faire avec. Cela implique de changer son regard, de poser son attention là où on ne la posait pas avant ; de travailler sur soi, prendre conscience de ses schémas et représentations mentales, d’être en posture d’ouverture pour voir le monde différemment.
Il s’agit aussi d’avoir le courage de la réflexivité sur ses récits (comme l’ont fait Anne-Cécile Genre et Marine Pradel avec leur podcast Shame on You, en revenant 12 ans plus tard sur la couverture de l’affaire DSK pour questionner leurs biais de l’époque), ne pas hésiter à se repencher sur certains récits historiques (la formidable histoire de la sécurité sociale par exemple). Et de faire de la place à la coopération, de s’ouvrir aux autres pour écrire à plusieurs afin de multiplier les regards.
Pour faire émerger de nouveaux récits, on peut s’inspirer du vivant. On peut aussi mieux observer ce qui est déjà là, changer de focale pour mieux voir des récits différents déjà présents. Je pense aux low tech, à la justice restaurative, à la sécurité sociale de l’alimentation, à l’école dans la nature, autant de “nouveaux” récits que nous avons partagés avec les participants en session 3, qui ne demandent qu’à être amplifiés.
[Émilie Thiry] Peut-on dire que les anciens récits nous empêchent de faire la transition ?
[Aude Chabrier] Le problème de ces récits c’est qu’ils ont clairement un impact sur nos modes de vie. Mais il ne faut pas se dire que c’est juste en changeant de récit que l’on pourra mener la transition. Nous avons aussi besoin que de nouvelles structures se mettent en place. Il s’agit aussi de repenser les modèles d’affaires et les façons de faire. Je pense par exemple aux participants du parcours CEC Nouveaux Imaginaires qui travaillent dans le secteur publicitaire. Quand 80% des publicités sont pour des produits les plus polluants, clairement, il y a un sujet de chiffre d’affaires et donc de soutenabilité de la transition.
Moment tête-cœur-corps avec Amélie Rouvin, coach et Laurence Grandcolas, co-lead programme. Forum Ouvert en Session 4 – Photos Thierry Mesnard
[Émilie Thiry] Avez-vous construit le programme du parcours CEC Nouveaux Imaginaires pour qu’il donne en lui-même à voir ce que sont les nouveaux récits ?
La méthode CEC – s’adresser à des dirigeants, avec une pédagogie “tête-coeur-corps” et en coopération – est quelque part déjà un nouveau récit. Dans notre programme, nous avons été pointilleux sur la diversité des regards, de ceux qui portent les récits, pour éviter les angles morts : équité parfaite dans la représentativité hommes/femmes, intervenants issus de parcours migratoires, témoignages d’entrepreneurs sociaux, performances de jeunes artivistes (artistes activistes)…
La forme des interventions a été revue également, en partant aussi des histoires individuelles des experts, de leurs craintes profondes, au-delà des discours rationnels. Nous voulions qu’ils parlent avec leurs tripes. Nous avons testé des formats comme la marche du temps profond, la rencontre avec les explorateurs du monde de demain ou encore le forum ouvert, pour que les participants se réapproprient les sujets et soient maîtres de leur parcours.
Après avoir été en lead sur les 3 premières sessions, notre enjeu depuis la session 4 est de “faire avec” les participants. Le programme est ainsi co-construit avec eux. Expérimenter la coopération, la coresponsabilité, c’est effectivement une mise en abyme des nouveaux récits à écrire ensemble !
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