Podcast CAP Regen : “Il faudrait quand même que le bien redevienne un peu hype.” Avec Bertrand Bailly, DG de Davidson consulting
- Bertrand Bailly, Eric Duverger
- 23/09/2024
- Communauté Alumni, Économie régénérative, Feuille de route, Podcasts
[Eric] Bienvenue dans Cap Regen. Je suis Eric Duverger, le fondateur de la CEC. Une association qui existe pour rendre irrésistible la bascule vers l’économie régénérative. Tout le monde en parle de cette nouvelle économie, qui régénère au lieu d’extraire, mais le défi est immense. Avec CAP Regen, nous donnons la parole à des dirigeants engagés au cœur de l’action. Bonjour Bertrand. Bertrand, je te propose de faire un pacte. Ce pacte, il tient en trois mots. Le mot courage parce qu’il en faut du courage quand on s’embarque dans l’aventure de la régénération. Le mot authenticité Je te propose l’authenticité maximale sur notre échange. Et le mot pragmatisme. On veut rendre la plus concrète possible cette nouvelle économie. Et on va essayer de chercher des exemples les plus pragmatiques possibles. Donc voilà, courage, authenticité, pragmatisme. Ça fait l’acronyme CAP. Alors Bertrand, CAP ou pas CAP ?
[Bertrand] Plutôt CAP, j’espère. Bonjour Eric, ravi d’être avec toi.
[Eric] Bertrand, tu es directeur général de Davidson consulting. qui est une société B Corp. Tu es également membre Impact Business Angels, bénévole au Secours Populaire français et associé de Team for the Planet. Tu as été un des participants de la première CEC en 2021-2022. C’est là où nous nous sommes rencontrés. Bertrand, est-ce que tu peux nous présenter ton entreprise Davidson consulting en quelques mots ?
[Bertrand] Oui, rapidement. Davidson est ce qu’on appelle une ESN, une entreprise de services numériques, principalement à 90% de notre chiffre d’affaires. On est présent dans six pays, on a 3000 collaborateurs pour un chiffre d’affaires de l’ordre de 300 millions d’euros. Et donc on fait plein de trucs en rapport avec le digital, on en reparlera je pense aujourd’hui du digital qui est la bombe à retardement climatique cachée derrière l’avion. Mais donc on travaille sur le déploiement digital dans nos vies, que ce soit sur des projets B2C, B2B, donc partout où il y a des zéros, des 1, des octets, on se cache.
[Eric] Sur la genèse, l’histoire de Davidson consulting. Est-ce que tu peux nous retracer assez rapidement cette histoire ? D’où elle vient cette entreprise ?
[Bertrand] Alors, elle vient de traumatismes. On était salariés dans des grands groupes plutôt avant Davidson consulting, que ce soit des entreprises de services ou des entreprises plus classiques, industrielles. Alors moi, c’était Alcatel, par exemple. Et il y avait quelques petites choses qui nous posaient problème dans ces entreprises. Évidemment, leur verticalité, la lourdeur du management, etc. Et d’une manière générale, la manière dont on traitait les gens. Voilà, alors moi je suis la génération 98, sortie d’école d’ingénieur, et en 98 sur les murs, dans les entreprises, on parlait beaucoup de la qualité pour les clients, et pas du tout de la QVT. Donc c’était le client, le client, le client, tout pour servir le client, et nous ça nous avait pas mal interrogé, on s’était dit, ouais mais enfin bien servir le client avec des équipes démotivées, c’est quand même a priori plus compliqué que de bien servir le client, parce que je comprends bien l’objectif d’avoir des clients contents, sinon c’est compliqué de faire une entreprise. Mais on s’était dit, voilà, avec des salariés motivés, ça doit être un peu plus simple. Donc nous, notre gros focus au démarrage, c’était de faire une ESN. Bon, il y en avait déjà des milliers en France, mais focalisée sur la qualité de vie au travail. Alors on dit mettre l’humain au centre, tatati tatata. Bon, on peut dire ça, mais globalement, avec une vraie vigilance sur prendre soin de nos collaborateurs, un petit peu de nos parties prenantes. Je pense qu’on va en reparler aujourd’hui. Mais globalement, prendre soin de tout le monde pour avoir un beau projet qui se porte bien et puis bien délivrer la promesse qui est de servir au final nos clients. Mais pour nous, les clients, le chiffre d’affaires, la performance, ça a toujours été une résultante, pas un objectif avec lequel on se lève matin, midi et soir. On a fait ça pendant plusieurs années. On a été Great place to work, on a même été l’entreprise dans laquelle ils faisaient bon vivre pendant quatre ans en Europe, la première. Et un matin, on s’est réveillé, on s’est dit, mais merde, il y a nous, il y a notre nombril, il y a notre entreprise, mais on a peut-être un peu oublié de s’intéresser à nos externalités, plutôt négatives en l’occurrence. Et c’est comme ça qu’on s’est mis sur le chemin d’un mouvement d’entreprises qu’on suivait depuis des années, parce qu’on lit beaucoup dans le domaine du management, et ce mouvement, c’était B corp. Et voilà comment, en 2018, pour la première fois, on se rend compte qu’il existe des gens hors de Davidson, hors de la secte, et qu’en fait, une entreprise a probablement un rôle plus large que son propre fonctionnement autonome, et éventuellement même, doit se réconcilier avec la société, donc soigner ses impacts sociétaux, sociaux, environnementaux. On n’a pas commencé par l’environnement, mais comme tu es passé par là et que tu nous as rattrapés quelques années après, c’est venu.
[Eric] Dans ton enfance, finalement, qu’est-ce que tu voulais faire ? Est-ce que déjà tu voulais être entrepreneur ou est-ce que tu avais d’autres visions à ce moment-là ?
[Bertrand] Ok, on passe en mode divan. Je viens d’une famille d’entrepreneurs, donc j’étais le seul salarié à table au repas de Noël et tout. Donc on me regardait un peu bizarrement. Donc oui, assez vite, j’ai cherché l’angle par lequel je pouvais me lancer et trouver cette autonomie qu’à peu près tout le monde dans ma famille a eue. Alors j’ai fait ingénieur télécom un peu par hasard. J’ai travaillé chez Alcatel dans le numérique, un peu moins par hasard du coup, puisque quand on est ingénieur télécom, on finit souvent comme ça. Et puis après, je me suis dit, il y a le monde des services numériques, il y a peut-être un coup à jouer. Je dis souvent qu’à un moment, il y avait un créneau et un crédo. Créneau parce que les ESN ne faisaient pas très bien le boulot sur la gestion de leurs collaborateurs. Donc il y avait possiblement une manière d’exister en adressant le marché des candidats, futurs consultants, futurs salariés, d’une manière différente. Et on se disait aussi que nos clients allaient peut-être acheter ça. Se dire, voilà une boîte qui fait bien le boulot, voilà une boîte qui a un turnover plus faible que les autres, où il va être plus facilement possible de capitaliser, par exemple, et donc ce sera le meilleur consultant pour nous. Donc à un moment, on s’est dit voilà, crédo, créneau, obligation familiale d’être entrepreneur. Et je me suis dit OK, on change. Et puis j’ai rencontré les bonnes personnes aussi. Ça, c’est très important. Tu parlais de courage tout à l’heure. Moi, je suis courageux, mais pas tout seul. Donc j’ai rencontré des gens supers qui m’ont donné les compétences que je n’avais pas et qui m’ont rassuré sur ce que je pensais être mes points de fragilité. Donc du coup, ça faisait un bon équipage pour démarrer.
[Eric] Génial. Merci Bertrand. Alors, on va aborder maintenant des questions autour de l’aventure de la visée régénérative pour une entreprise, parler un peu de ton arrivée dans la CEC. Donc déjà, double question, quel était ton niveau de conscience et finalement, quel a été le déclic ? Comment tu t’es embarqué dans cette aventure CEC ?
[Bertrand] Je n’étais pas écolo, comme je le dis souvent en entrant à la CEC, je le suis devenu, mais non sur les enjeux climatiques, très honnêtement, après, j’ai honte de dire ça, mais en 2020 ou 2021, quand on a pris nos premiers contacts, j’avais finalement très, très peu de connaissances. Enfin, tout ce que je savais, c’est que je ne savais pas grand-chose ou rien. D’abord, je n’avais pas un très grand niveau de conscience. D’ailleurs, je ne voulais pas venir au début. Quand on m’a parlé de la CEC la première fois, c’était mes collaborateurs qui m’ont remonté ça dans les slacks internes, l’outil de communication interne, et qui m’ont dit Ah, t’as vu, il y a une initiative et tout, ça ressemble à la Convention citoyenne pour le climat, alors déjà, ce n’était pas un argument pour me mettre en mouvement. J’avais l’impression que les préconisations, les recommandations qu’ils avaient faites n’avaient pas été très suivies dans les faits. Donc je me disais, si on est en train de refaire le coup version entreprises, je n’ai pas envie d’être dans ce collectif-là, moi. Et puis après, je ne comprenais pas ce qu’on allait y faire. Et puis après, je comprenais quand même que ça allait me prendre 12 jours en 12 mois. Et c’était trop dans une année post-Covid. Et une copine qui est Amandine Hersant, qui est la directrice générale de Planète Urgence, qui est un de nos partenaires, elle m’a appelé et m’a dit, tu fais une grosse bêtise. Elle m’a dit un truc que j’ai souvent répété dans les couloirs de la CEC, parce qu’il se trouve que ça s’est avéré vrai, c’est que le futur, peut-être l’avenir de ce qu’était l’entreprise, s’écrivait dans ces couloirs, et que je prenais un sacré risque de ringardisation si je n’allais pas m’alimenter de ce qu’était peut-être l’entreprise de demain. Or, il se trouve que je pense que c’est mon mandat. En tant que dirigeant d’entreprise, je suis un peu censé positionner Davidson à l’endroit où Davidson doit se trouver pour être bien. pour être confortable, je ne sais pas, mais enfin, faire correctement son chemin. Et donc, ça a été l’argument choc. Je me suis dit, si vraiment il se passe quelque chose là-bas d’important, je ne peux pas faire autre chose ces week-ends-là ou ces vendredis-là. Donc, je vous ai rejoint avec plaisir et encore plus quand effectivement, j’ai découvert le programme. Mais soyons clairs, mon chemin commence en fait avec la CEC, même si avant, on bricolait des choses avec B corp.
[Eric] Tu parles de l’entreprise de demain. Et finalement, en tant que dirigeant, on attend des dirigeants qu’ils aient une vision, un coup d’avance sur cette entreprise de demain. Toi, dans ton secteur, pour Davidson, justement, comment tu la qualifierais ? Qu’est-ce qu’il y a de différent dans cette vision de demain par rapport à là où tu es aujourd’hui ? Alors déjà, le mouvement est enclenché, mais ce seraient quoi les marqueurs de cette entreprise de demain, selon toi ?
[Bertrand] Un marqueur que j’ai un peu évoqué, c’est de ne pas être repliée sur elle-même. Je l’ai dit honnêtement, intellectuellement, on était dans une posture de repli pendant toutes les phases de développement de Davidson. Ce qui nous intéressait, c’était Davidson, pas du tout ce qui se passait autour. Je pense qu’aujourd’hui, peu de gens ont envie de travailler dans une entreprise sans comprendre quelle est la place qu’elle joue dans la société. Et je dis souvent qu’il faut réconcilier la société entreprise avec la société les gens. Et clairement, ce n’est pas le chemin qu’on a pris. Donc, la plupart des entreprises ne sont pas au service du vivant. Du tout, elles sont au service des profits. Donc la CEC, elle a changé notre rapport au beau. Et après, la grande question, c’est effectivement de définir ce qu’est le beau de 2030, voire un peu plus vite si possible, de définir quel est le nouveau beau, et puis après, de braquer les objectifs de l’entreprise, et les projecteurs, et les réussites, sur ce qui est beau. Alors ce qui était beau, si on revient, il y a dix ans dans ma tête, c’était gros, grand, profitable. Voilà, un truc qui grossit vite, qui marge, comme on dit, qui fait de l’EBITDA, du chiffre, etc. Éventuellement, qui peut manger ses concurrents très vite, comme ça, ça fait encore plus de chiffre et d’EBITDA. Et petit à petit, on a commencé à se dire à quoi bon courir après ça ? Peut-être que ce qui est beau, c’est d’être plus abritant. J’avais pris dans une session de la CEC cette image de l’arbre qui couvre. Pas forcément un arbre très haut, mais un arbre très couvrant, très abritant, sous les branches duquel des tiers-parties peuvent se mettre à l’abri, des collaborateurs bien sûr en cas de coup dur. On sait bien qu’il y a des incidents de vie qui font qu’à un moment, il peut y avoir des impacts dans le boulot. Je pense qu’une entreprise, d’abord, doit être capable de comprendre que tout le monde n’est pas à fond tout le temps et qu’il peut y avoir des accidents de parcours et créer les conditions pour que les gens s’y sentent bien, par exemple. Les fournisseurs aussi, on peut leur marcher sur la tête, leur taper dessus, baisser les prix. On peut aussi les regarder d’une manière écosystémique, c’est-à-dire se dire, non, ces gens-là sont importants, ils me permettent de réaliser la promesse globale que je veux atteindre. Et donc, mon boulot, ce n’est pas de les saigner, c’est de les chouchouter pour qu’eux-mêmes se portent bien, qu’ils soient fiers de bosser pour moi, qu’ils en donnent peut-être un petit peu plus aussi. Et puis, éventuellement, d’autres parties prenantes, nos clients, par exemple. Est-ce qu’une belle entreprise, c’est une entreprise qui bosse pour n’importe qui ? Donc, il y a un moment, c’est aussi interroger jusqu’au bout sa chaîne de valeur et jusqu’au client, jusqu’à celui qui paye. Pas que les gens à qui on donne des sous, les gens qui nous en donnent aussi et dire, moi, ton argent, j’en veux pas.
[Eric] Je voulais rebondir, justement, puisque tu prends cette métaphore de l’arbre et tu disais tout à l’heure une prise de conscience autour du vivant. Et le vivant, c’est un terme qu’on n’employait pas trop, qui était un peu, justement, ésotérique il y a quelques années. Mais cette reconnexion au vivant, on sait que c’est un enjeu clé de l’entreprise régénérative. C’est un challenge pour une entreprise de services numériques. de se reconnecter au vivant. Est-ce que vous explorez des pistes sur ce sujet-là ? Service numérique, reconnexion au vivant, comment ça peut se passer ?
[Bertrand] Oui, merci pour cette question qui nous a fait beaucoup saigner du nez. Parce qu’effectivement, on est rentré de la CEC, on s’est dit, ouais, super, il faut se reconnecter avec le vivant, il faut être régénératif. Et là, on s’est dit, merde, on est une entreprise de services, on a en réalité un métier très abstrait. Paradoxalement, abstrait, c’est bien parce qu’on ne produit pas des gros camions. Et en même temps, j’enviais Renault Trucks, qui avait un produit à décarboner assez rapidement. Il y avait plein, plein de chantiers cachés derrière le produit. Nous, pas de produit, pas de chantier caché derrière le produit. Donc effectivement, on s’est dit comment on fait ça ? Grosso modo, on a tiré trois leçons sur trois niveaux différents. Première conclusion, il faut qu’on soit le plus irréprochable nous-mêmes dans notre consommation de ressources, d’énergie, etc. Même si on n’est pas les plus gros casseurs de la planète, qu’on fasse du mieux qu’on peut. Donc, on a énormément travaillé sur notre bilan carbone, notre bilan biodiversité aujourd’hui, que la CSRD est en train d’élargir sur plein d’aspects. Alors, ça terrorise plein de boîtes, mais en vrai, c’est une vraie opportunité de se poser les bonnes questions. Donc, premier volet, être irréprochable, c’est impossible, mais comme je dis souvent, avoir les fesses les plus propres possibles nous-mêmes. Deuxième volet, changer la nature de notre service, c’est-à-dire interroger la qualité de notre portefeuille et la nature de nos missions. Comme j’ai dit tout à l’heure, peut-être qu’on ne va pas servir tous les clients. Peut-être qu’il faut que nos missions évoluent en nature, c’est-à-dire qu’à des missions, par exemple, de déploiement d’un ERP, on ajoute des missions de réduction de l’empreinte énergétique des DSI et qu’on accompagne des DSI pour le faire. Le digital, on va y revenir, en soi, n’est ni bon ni mauvais. Il dépend vachement de ce qu’il sert. Prenons un exemple sur lequel on a travaillé avec le Shift Project, les métavers. Bon, les métavers consomment des ressources, mais si les quelques ressources consommées sont utilisées pour faire de la télémédecine, on peut difficilement penser que ce n’est pas bien qu’un médecin, le meilleur médecin du monde aux US, consulte nos IRM à Paris ou nous opère à distance. Le problème, c’est que pour 1% des usages hyper utiles, en fait, dans des tuyaux numériques, on bourre 99% de choses inutiles. Donc, on nous fait le coup à chaque fois des usages utiles, mais en réalité, le numérique sert à plein de trucs inutiles. Donc, on s’est dit, il faut interroger vraiment ce à quoi vont servir nos projets. On met des cerveaux, des neurones. à disposition de nos clients pour réaliser des projets. Oui, mais le grand propos du truc, à la fin, c’est quoi ? Est-ce qu’on fait une énième bombe numérique ou est-ce qu’on fait quelque chose de vraiment utile à l’humain et au vivant ?
[Eric] Et cette question, elle est hyper présente dans les esprits actuellement sur l’IA, qui arrive avec un potentiel d’empreinte augmentée énorme. Toi, aujourd’hui, si tu avais à te positionner sur la partie qui a un apport sociétal, de la technologie par rapport aux usages inutiles où en fait, on est sur une bombe, où est-ce que tu positionnerais le curseur aujourd’hui ? Et quel est ton niveau d’espoir qu’on oriente l’IA du bon côté ?
[Bertrand] C’est l’horreur. Voilà, ça va comme position ?
[Eric] On a parlé d’authenticité !
[Bertrand] Voilà, je coche la case ! Non, mais je ne devrais pas dire ça parce que mon business en dépend. Mais en vrai, c’est horrible ce truc parce qu’on est en train de nous refaire le coup. Je lisais… MidJourney, une IA qui permet de générer des images, c’est super, on économise du papier, on économise beaucoup de temps. Une IA MidJourney qui génère une image, une création, un design, c’est moins de carbone qu’un designer, un humain, qui mange un sandwich à midi, qui a de l’électricité et qui utilise un PC. Bon, donc on nous dit regardez l’IA peut peser moins en carbone que l’être humain qui doit se nourrir et chauffer son logement. Ouais, super, sauf que combien d’images inutiles on génère chaque jour sur MidJourney ? Ok, peut-être que Laurent, dans son bureau, il aura bossé toute la journée, et oui, pauvre Laurent, il consomme de l’énergie en bon être humain qu’il est pour produire le design dont on avait besoin, mais MidJourney, lui, va en produire combien d’inutiles ? Moi, je suis très pessimiste, surtout qu’on les multiplie. Tous les 15 jours, on entend parler d’une levée de fonds pour une nouvelle IA. En France, en Chine, aux États-Unis, chacun veut la sienne. Alors, il faut une souveraineté dans l’IA. Il ne s’agirait pas que les LLM américains nous noient le cerveau avec des infos et une vision du monde américaine. Bon, il y a plein de bonnes raisons. N’empêche qu’à la fin, on empile tout ça et ça fait beaucoup, beaucoup, beaucoup d’énergie consommée et de ressources.
[Eric] Donc, dans ce contexte, Davidson consulting a produit une feuille de route à visée régénérative. On sait que c’est un très haut niveau d’ambition. Si tu avais à synthétiser cette feuille de route en quelques mots, quand tu dois, en 30 secondes, dire à quelqu’un de ton équipe, finalement, qu’est-ce qui est ressorti et c’est quoi la visée de Davidson ? Je crois qu’on a touché des grands sujets, mais tu le dirais comment en quelques mots ?
[Bertrand] En quelques mots, je n’arrive pas très bien à le dire. On en reparlera aussi de comment on emmène ses idées dans une entreprise et comment on change les autres.
[Eric] Comment on embarque.
[Bertrand] Comment on embarque. Mais alors justement, moi, j’ai fait l’erreur d’essayer d’embarquer trop vite et de ne pas faire longue pédagogie du truc. Je suis revenu de cette expérience, encore une fois, très convaincu moi-même. Et puis, j’ai pris un raccourci complètement idiot. C’est que je me suis dit, je vais faire une petite synthèse de ce truc-là à mes collaborateurs. Comme ça va être une super synthèse très efficace, ils vont comprendre plus vite que moi j’ai compris ce qu’il fallait faire. Bon, et puis j’ai oublié qu’au-delà de la qualité de la synthèse, alors peut-être d’ailleurs que la mienne n’était pas très bonne, mais il y avait un temps de digestion nécessaire et on ne l’a pas pris. Et du coup, ce n’est pas si simple que ça cette histoire, précisément quand on prend tous les contours d’un problème. Donc, je n’aime pas la résumer en deux mots, mais globalement, encore une fois, soigner tout ce qu’on peut soigner à notre échelle. Il y a quelques années, tous les deux ans, on changeait nos PC. Et si au bout de deux ans, un utilisateur n’avait pas réclamé à ce qu’on change son PC, l’informatique dans ses process, l’appelait et lui changeait. Voilà, donc ça, c’est des choses relativement simples qu’on peut faire. Donc, soigner notre propre bilan carbone et être très fort là-dessus, c’est important. Et il faut mettre des efforts. Là aussi, il y a des effets pervers. On vient de faire le bilan carbone de 2023 de Davidson et je me suis rendu compte d’un truc complètement dingue. Et peut-être que certains qui nous écouteront vivent la même chose. Le bilan carbone de notre mobilité est moins bon que l’année d’avant, alors que le télétravail est augmenté. Alors ça, par exemple, ça m’a tué. Je me suis dit, mais comment c’est possible ? On fait plus de jours de télétravail que l’année dernière et le bilan de notre mobilité en carbone augmente. Pourquoi ? Parce que quand les gens ne prennent leur voiture que deux fois dans la semaine pour se déplacer au bureau au lieu de cinq, ils se disent, tant pis si j’ai un peu de bouchons, je peux me taper une heure et demie de bouchons. Alors que quand c’est tous les jours, ils n’acceptent pas et ils vont prendre la contrainte transport en commun serré comme des sardines, mais pour arriver plus rapidement au bureau. Et ça, c’est très net. Et ça, ça nous a tués. Mais donc…
[Eric] Effets rebonds !
[Bertrand] Effets rebonds de partout, oui. Tout est rebond dans cette histoire. C’est à la fois intellectuellement hyper intéressant et à la fois totalement déstabilisant certains matins. Mais donc, d’abord, travailler son propre bilan et puis essayer d’écoper tous les effets rebonds, déjà, ça nous occupe pas mal. Migrer notre portefeuille. Aujourd’hui, sur mes 2700 missions, 137 sont vertueuses. Alors, on a fait une évaluation ODD de toutes nos missions. Chaque nouvelle mission qu’on démarre est évaluée suivant les Objectifs de Développement Durable des Nations Unies. On la score, on en a 137. Donc moi, mon objectif, c’est qu’on en ait 200, 300, 500. Toute la boîte un jour, ça va nous prendre du temps, mais petit à petit aussi, qu’on choisisse nos combats. Et pour moi, ça, c’est l’enjeu majeur. C’est d’avoir changé profondément la nature de ce qu’on réalise, d’avoir travaillé éventuellement sur le numérique frugal. Là aussi, il y a des changements dingues à opérer. Pendant longtemps, l’informatique, pour ceux qui la connaissent bien, on a essayé de régler tous les problèmes. D’ailleurs, on parlait de la digitalisation des processus, voire de l’ubérisation de certains métiers. Donc, en fait, on a voulu tout mettre en informatique parce que ça allait plus vite, parce qu’on servait plus vite le client avec l’informatique. Et donc, pendant des années, on a voulu faire une collecte exhaustive des besoins des gens pour tout mettre en digital. Aujourd’hui, il faut opérer le mouvement inverse. C’est-à-dire qu’aujourd’hui, on explique à nos product-owners ou à nos maîtres d’ouvrage, comme on disait quand on n’était pas en agilité, que le but du jeu, ce n’est pas de prendre tous les besoins de nos clients pour faire de superbes applis, c’est de prendre le juste nécessaire et d’interroger. D’ailleurs, les Designers Ethiques, un collectif que vous connaissez peut-être, a fait un travail super là-dessus, sur une sorte de matrice de décision pour savoir si un projet numérique mérite d’exister. Donc, c’est interroger l’essence même du projet. Et puis se poser des bonnes questions avant de décider de mettre des moyens, encore une fois, des ressources, de l’énergie pour réaliser un projet. Donc ça, changer ces mentalités-là, ça va nous prendre des années, et réorienter nos projets. Et puis, troisième volet, que j’avais pas eu le temps d’évoquer tout à l’heure, mais que j’évoquais à cette occasion, c’est faire influence. C’est-à-dire sortir de notre coquille et aller raconter tout ça. Comme c’est long, comme c’est laborieux, comme les gens ont plein d’a priori, sur le numérique, il y en a aussi, et nous, on a un rôle à jouer à expliquer aux gens que le numérique qui pendant longtemps représentait moins de 3% des GS équivalents planétaires, les choses vont changer radicalement et ça va devenir un vrai sujet. Et s’ils veulent que leur métier existe dans quelques années, qu’ils se mettent en mouvement assez rapidement, ça c’est important.
[Eric] Dans ta feuille de route, tu touches les trois grands leviers de l’entreprise régénérative qui sont diminuer les impacts négatifs, créer des impacts positifs en choisissant des missions les plus vertueuses possibles, et là, on espère qu’il y aura un effet d’emballement systémique où ton 137 va monter le plus vite possible, et puis aussi, sur la partie influence, c’est d’essayer, au-delà de son périmètre propre, de créer des effets papillons qui vont en fait participer à la bascule systémique. Finalement, l’embarquement des équipes, faire que ce projet ne soit pas ton projet, mais ce soit le projet de toute l’entreprise. Vous avez une gouvernance un peu particulière chez Davidson, est-ce que tu peux nous en parler ? Et est-ce que ça peut aider justement cette gouvernance à embarquer plus largement et plus vite tous tes collaborateurs ?
[Bertrand] Alors on a une gouvernance particulière, c’est vrai, puisqu’on n’en a pas ou peu. C’est une forme de gouvernance, de ne pas en avoir. Donc c’est un peu particulier. On a ce qu’on appelle une adhocratie horizontale. Donc c’est un truc chelou, un concept chelou qu’on a inventé.
[Eric] Justement, parle-nous de l’adhocratie, qu’est-ce que ça veut dire ? Parce que dans une entreprise régénérative, on sait qu’il y a un enjeu de gouvernance majeur. On ne peut pas avoir un schéma pyramidal à l’ancienne avec une visée régénérative. Donc, comment elle fonctionne, cette gouvernance ?
[Bertrand] Alors, dans adhocratie horizontale, il y a deux mots. Il y a horizontal, c’est par opposition au vertical que j’évoquais tout à l’heure. Donc, des organigrammes très plats. On essaye de ne pas multiplier les strates, puisqu’on a toujours pensé que les strates, c’était autant d’occasion de perdre le message. Alors, dans les deux sens, d’ailleurs, les bonnes idées qui remontaient du terrain, comme on dit. on n’a pas vraiment de terrain, mais qui remontait des gens. Et puis éventuellement, les décisions pour faire pivoter, bouger la société qui arrivaient de la strate et de la direction. Ça, c’est le côté horizontal. Le côté adhocratique, c’est réfléchir ensemble à comment on fait évoluer nos processus. Donc c’est les processus orientés démocratie. C’est-à-dire qu’une adhocratie, c’est une entreprise qui a compris qu’il fallait que ses processus changent tout le temps. Donc la question, c’est pas d’en avoir ou pas, c’est de les changer tout le temps. Et par un processus démocratique, c’est-à-dire, bizarrement, de demander l’avis aux gens. C’est demander l’avis aux gens sur ce qu’ils veulent faire et donc de retravailler nos processus à partir de toutes les idées qui viennent. Dès qu’on a des sujets, on travaille par triade pour qu’effectivement des petits noyaux se forment sur certaines thématiques. Et donc, quand il y a une décision qui est prise, ce ne soit pas le boss qui décide et les gens exécutent, mais que ce soit des tribus qui, en consensus, aient pris une décision et qui vont ensuite la répandre plus vite, puisqu’on a des noyaux de plus qu’une personne, qui vont évangéliser dans l’entreprise. Donc, en théorie, c’est facilitant et c’est vrai qu’au quotidien, sur cette question particulière, notamment de l’environnement, on a trouvé des freins inhabituels pour Davidson. Travailler dans une entreprise bienveillante, responsabilisante, qui décloisonne la décision, en fait, tout le monde est OK avec ça. Et donc, quand on présente ce truc-là, par ailleurs, les quelques-uns qui éventuellement ne seraient pas OK avec ça, par exemple les gens qui veulent faire une carrière verticale, de toute façon, ne signent pas chez nous et n’entrent pas chez nous. Là, on s’est retrouvés devant un truc différent, c’est d’expliquer qu’on allait, par exemple, végétaliser les repas à des gens pour qui c’était insupportable comme idée. Et donc, on allait beaucoup trop vite, et on a pris des décisions avant de prendre le temps de la pédagogie. Et le temps de la pédagogie, encore une fois, il est très très lourd. Donc si c’était à refaire, et le conseil que je pourrais donner au-delà de la gouvernance, c’est d’expliquer, expliquer, expliquer de longues heures avant de commencer des trucs, même si on a l’impression que c’est lent et laborieux. Alors sur une entreprise de 3000 personnes, organiser des fresques du climat, organiser des ateliers métiers sur les impacts du digital, donner des conférences sur la biodiversité et le climat. Ça prend des heures et des heures et des heures. Nous, je l’ai dit, on est dans six pays. On a peut-être 25 localisations géographiques. Donc, c’est logistiquement pénible, mais il faut le faire. Et ne pas lancer trop vite des projets tant que le niveau de compréhension générale n’avait pas atteint un certain stade. Et clairement, on a démarré trop tôt. Voilà, moi, je ne m’invite pas dans la vie personnelle des gens, ils font leur propre schéma. Mais mon mandat, c’est de travailler à l’échelle de Davidson.
[Eric] Justement, puisqu’on a abordé l’aspect feuille de route avec les grands leviers de la feuille de route, la stratégie d’entreprise, il y a cette gouvernance très particulière qui reste aidante, sans doute, et plus puissante pour continuer à aller de l’avant et évoluer aussi, puisque c’est une gouvernance évolutive. Mais toi-même, puisque ton style de leadership, sans doute, doit s’adapter à cette nouvelle visée, cette nouvelle feuille de route. Qu’est-ce que tu fais différemment ? Qu’est-ce qui t’a challengé dans ton style de leadership ?
[Bertrand] Alors, en vrai, je ne vais pas inventer une réponse. Non, rien. Rien de différent. C’était des sujets nouveaux et donc on les a abordés comme on aborde avant tout nos sujets nouveaux. Encore une fois, en mode participatif, collectif. Ça, il n’y a pas de souci. Non, ce que ça a changé dans ma vie, c’est que c’est quand même plein de sujets qui viennent s’ajouter. Passer de l’entreprise classique. à une entreprise qui gère, encore une fois, toutes ses externalités, ce ne sont plus les mêmes journées. Je veux dire, il faut s’intéresser à un milliard de trucs dont on faisait l’économie, dont on faisait l’économie avant. Et il faut devenir technique sur plein de sujets nouveaux. La comptabilité carbone, dont on a beaucoup parlé aujourd’hui, en vrai, c’est technique. Il y a des vrais sujets. Le repas de midi, on le met ou pas ? Pourquoi ? Les flux physiques, les flux financiers, dans quel cas on utilise l’un ou l’autre ? Comment ne pas se mentir sur ces sujets-là, ces techniques ? Les impacts sociaux, sociétaux, la contribution carbone, dont on parlait aussi. Moi, je n’y connaissais rien à tous ces sujets. D’abord, je disais compensation. J’ai dit compensation carbone, j’ai reçu plein de cailloux, je me suis dit bon, alors il ne faut pas dire compensation, ça doit être un peu plus compliqué que ça. Ah bon, on ne peut pas vraiment compenser ces émissions ? Ah bah non, parce que les émissions, c’est à l’échelle de la planète qu’on les regarde, pas à l’échelle d’une entreprise. Là, on a co-rédigé avec Planète Urgence un guide pour le mécénat dans le cadre de la contribution climatique. Bon, évaluer la vraie séquestration d’arbres à tel endroit du monde, avec tel facteur de risque, c’est un truc super technique. Et ce que ça a changé surtout, c’est que ça a amené plein de sujets intellectuels nouveaux. C’est super intéressant, mais ça satellise énormément.
[Eric] Et alors justement, on va faire un petit retour en arrière. Donc, on comprend que le terrain de jeu est plus complexe, qu’intellectuellement, il y a des nouveaux challenges pour arriver à prendre en compte les externalités et à s’inscrire dans la trajectoire régénérative. Quels ont été finalement les moments forts du parcours CEC ? Est-ce qu’il y a eu des moments forts qui ont fait que tu t’es dit, il n’y a pas de retour en arrière, je dois y aller. Je dois absorber ce niveau de difficulté, de complexité. Qu’est-ce qui s’est déclenché en toi ?
[Bertrand] Oui, il y en a deux essentiellement. D’abord, la première session. Il y a sans doute plein de gens plus informés que moi qui vont à la CEC. Mais quand on est peu informé en réalité et qu’on se prend la claque de la session 1 dans le visage, on est un peu KO debout. Et puis, quand vous nous avez bien mis KO debout après deux jours de session, bon… vous nous demandez d’écrire une lettre au futur, que tous les jeunes parents comme moi ont écrit à leurs enfants. Donc, c’est des moments, où tu fais une sorte de profession de foi pour que ta fille lise dans une dizaine d’années une lettre que tu as écrite et dans laquelle tu dis ce que tu vas changer à l’échelle de ton entreprise pour faire modeste contribution du travail qu’on doit tous faire. Bon, moi, ça m’a foutu les poils. Je la relis souvent. Elle ne me quitte pas, au format numérique sur mon téléphone et au format papier sur mon bureau. Pour moi ça a marqué le début d’un engagement. Je me suis dit, c’est une promesse que j’ai faite à ma fille. Moi, c’est le moment où j’ai tangué dans toute cette aventure. J’ai tangué vraiment. Il faisait beau, on était dans un jardin, mais je n’étais pas au soleil sous les arbres, j’étais ailleurs. Et ensuite, bien sûr, il y a les ateliers de travail. Alors, big up à Marianne Coudert, notre coach. Mais les gens, les patrons, les Planet Champions, des autres entreprises avec qui on a travaillé, moi, ça a été un kiff total. Dans mon métier, j’ai peu d’occasions de travailler intellectuellement avec des patrons ou des dirigeants d’entreprises sur des sujets. Encore une fois, on est souvent dans une relation client-fournisseur, c’est travailler ensemble, mais ce n’est pas tous les jours réfléchir ensemble. Et ça, c’est absolument sensationnel. Il y a des gens totalement brillants. Et moi, j’ai été fasciné par comment des gens qui étaient dans un business qui n’était pas du tout le mien étaient capables de challenger mon sujet. Alors moi, je me suis intéressé aux camions, aux impressions, aux appareils de remontée mécanique, ce qui est cool. Mais eux, ils se sont intéressés aux services et ils nous ont fait mal aux neurones. Et ça, c’était génial de chercher des solutions. On s’est retrouvés devant des pages blanches, les fameuses feuilles de route. Et tu te dis, oh là là, mais comment je vais arriver au bout du truc ? Et des gens te challengent, tu réfléchis, tu réfléchis. Et puis, tu commences à voir un bout de lumière et puis à structurer ton processus.
[Eric] Écoute ce que tu nous décris là, Bertrand, on peut formuler l’espoir que ça se concrétise, d’arriver à résoudre ce problème, en un week-end, ce problème de maths hyper épineux, et le dimanche soir avoir craqué le problème, que ça se passe au niveau du monde économique en France, et qu’on arrive à craquer quelle est cette économie qui revient dans les limites planétaires, et qui est donc souhaitable. Ça m’amène à cette question, tu as cette originalité de parler du beau dans l’entreprise, et donc de l’esthétique, et tu avais exprimé ça à la conférence de presse de la fin de la première CEC, finalement il faut changer notre vision du beau. C’est presque un système de valeurs. Là, aujourd’hui, en sortant peut-être de Davidson, comment tu décrirais une entreprise idéale ? Comment tu décrirais justement le beau, le bien, en fait, pour une entreprise ?
[Bertrand] Je vais faire une réponse beaucoup moins intelligente que la question, mais quand je dis beau, je pourrais dire aussi quelque chose qui nous rend fiers. Voilà, c’est ça qui est beau, c’est qu’on soit fiers du projet. Donc, il faut qu’on change notre référentiel. On parlait des nouveaux imaginaires, qui est une CEC que vous avez lancée, elle est super importante, celle-là. Parce qu’en fait, il faut changer dans nos cerveaux tout notre référentiel. Et les histoires qu’on nous raconte sont hyper importantes. Dans le cadre d’Impact Business Angels, j’ai rencontré une boîte qui s’appelle Impact Films. Ils financent des films quand les films sont représentatifs de ce qu’est la société. C’est-à-dire que si ton film se passe en prison, ils veulent que tu filmes des acteurs en prison, mais… qui représentent vraiment les prisons, avec des Blancs dedans, par exemple, pas que des Noirs et des Arabes. Et ça m’avait marqué ces discussions avec eux, parce que je m’étais rendu compte que oui, par exemple, le cinéma, la télé, les journaux, nous renvoient parfois des images complètement déformées. Et donc, ça se joue à plein de niveaux, les récits collectifs, les imaginaires. Une entreprise, quelque part, quand bien même, elle n’aurait pas naturellement, peut-être structurellement, un good purpose, elle peut au moins essayer de s’adapter, ou si on lui met de la contrainte au niveau sociétal, elle va s’en arranger. Je pense que le beau, ça renvoie à être fier de sa boîte, à ce qu’elle fasse des choses qui sont conformes ou sympas pour le vivant sur la planète, etc.
[Eric] Encore un exercice difficile, la recette de cette économie, c’est quasiment un projet de société, avoir un monde économique qui régénère. En fait, pour que cette idée se diffuse, il faut arriver à la rendre simple. Alors la question, c’est comment tu expliquerais l’économie régénérative à un enfant de 8 ans ? Comment tu lui expliquerais, ce qu’on essaye de se dire là, le plus simplement possible, à justement ta fille quand elle avait 8 ans ?
[Bertrand] Je vais vous voler une question, elle nous avait été posée, c’est finalement… si l’entreprise n’existait pas, est-ce que la planète s’en porterait mieux ou moins bien ? C’est aussi simple que ça, finalement. J’ai l’honnêteté intellectuelle de dire que si Davidson disparaissait demain, la planète s’emporterait aujourd’hui mieux, d’ailleurs, puisque je pense qu’on a pas mal d’externalités négatives, encore une fois, à soigner, on a parlé du digital tout à l’heure, qui est vraiment en mode fusée. Moi, j’ai peur qu’on ne soit plus très loin d’un moment où on va être vraiment hyper contraints. C’est-à-dire que ça va être une question de survie. Il y a un moment, de toute façon, ça ne sera pas une question de est-ce que je veux bien faire les choses ou est-ce que je ne veux plus bien les faire ? Il n’y aura plus de place pour les gens qui les font mal. Parce qu’à partir du moment où la question, ça sera la survie, on va vite faire le tri entre ce qu’on garde et ce qu’on jette. Donc, je pense que la question, c’est est-ce que je mérite d’exister ? Voilà.
[Eric] Si tu avais une baguette magique pour transformer les règles du jeu économiques, pour donner des vents porteurs aux projets d’entreprise que tu peux avoir, voilà, tu as cette baguette magique de changer les choses. Qu’est-ce que tu changerais ?
[Bertrand] Je chercherais comment encourager effectivement les entreprises qui essayent de faire bien les choses. L’ADEME a lancé par exemple une consultation sur des projets liés à la frugalité numérique. Je les vois œuvrer sur les dossiers, ils font un travail remarquable d’analyse. Donc je favoriserais, je trouverais comment favoriser des entreprises qui démontrent leur volonté d’être vertueuses sous certains aspects. On a financé le bilan carbone des PME, c’était une super mesure. Mais je suppose que je collectionnerais des mesures de ce genre qui séparent le bon grain du mauvais grain et qui encouragent les entreprises à faire des investissements de transition ou de redirection écologique. Voilà, alors après, en-a-t-on les moyens, c’est une autre affaire. Mais peut-être que je mettrais un peu moins d’argent sur l’IA et un peu plus sur la redirection écologique, par exemple.
[Eric] Toute dernière question pour toi. On voit que notre situation actuelle, que ce soit en France ou à l’international, elle est très compliquée. On voit aussi qu’il y a des forces en mouvement. Ce podcast s’appelle Cap Regen, donc on a un cap. Qu’est-ce qui te donne confiance dans tout ça ? Qu’est-ce qui te donne confiance dans l’avenir ?
[Bertrand] Alors c’est vrai qu’en ce moment c’est particulier. Il faut se lever avec une sacrée dose de bonne humeur et pas trop regarder la télé effectivement. En vrai, je le redis, désolé de finir sur une note comme ça, mais moi je suis flippé quand je vois ce qui se passe en Ukraine ou dans plein d’autres pays d’ailleurs. Notre incapacité à, par exemple, ce qu’on disait à l’instant, flécher l’argent vers les bons trucs. Donc je me dis qu’il faut faire encore une fois influence, c’est-à-dire qu’il va falloir convaincre, convaincre, convaincre. plein, plein, plein, plein de gens. Il faut aller chercher les gens un par un. Il faut aller chercher les entreprises une par une. Il faut aller chercher les politiques un par un. Les États, un par un. Enfin, il faut que les forces de conviction très vite atteignent une taille critique, le tipping point, comme on dit, pour que finalement, ce soit les forces dominantes et que la normalité soit de faire bien et pas d’aller taper sur la tête de son voisin à la première occasion. Mais ouais, alors on parlait du beau, on pourrait parler du bien. Il faudrait quand même que le bien redevienne un peu hype. Globalement, je ne sais pas s’il y a un indice de la gentillesse dans le monde, je n’ai pas l’impression qu’il soit en très forte augmentation. Bon, voilà, donc il faut tous qu’on se calme. Et puis voilà, petit à petit, que chacun convainque son voisin. Ce n’est pas facile de convaincre son voisin. Mais si chaque personne en convainc une, ça ne s’arrête jamais. Au final, tout le monde le sera. Donc il y a un peu de travail. Et c’est en ça que ce que vous faites est absolument génial à CEC pour le volet entreprise. Citoyens, entreprises, politiques, il faut que tout le monde, petit à petit, bascule.
[Eric] Alors moi, je vais retenir cette phrase : “ce serait bien que le bien redevienne hype”. Je pense qu’effectivement, ça peut provoquer des effets dominos. Alors merci beaucoup Bertrand. On avait fait un pacte autour de CAP. Donc le courage, merci pour ton courage. C’est vrai que une entreprise de 3000 personnes, la faire bouger et l’ambition du CAP que tu t’es donné, ce n’est pas facile, il y a beaucoup de pression. Pour l’authenticité, je pense que là, on a battu des records, on était en toute authenticité, tu nous as parlé à cœur ouvert. Merci beaucoup pour ça. Et pour le pragmatisme, c’est vrai que dans le secteur du numérique, ça devient très vite très concret. On a trouvé pas mal de pépites aussi. On espère qu’effectivement, elles pourront passer à l’échelle. Voilà, courage, authenticité, pragmatisme. On ne va rien lâcher. Et en route pour le Cap Regen. Merci Bertrand.
[Bertrand] Merci Eric.
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