Présidentielle
Les Entreprises pour le Climat interpellent Europe Écologie Les Verts
Charlotte Rivaton (Exhibit Group) et Loic Latour (Heineken France) ont rencontré Yannick Jadot (Europe Écologie Les Verts) pour discuter concrètement de son plan pour la transition économique.
Le résumé
Quel déclic environnemental ?
Se décrivant sensible à la nature depuis son enfance, Yannick Jadot reconnaît avoir eu un déclic environnemental lorsqu’il vivait au Burkina Faso puis au Bangladesh : il y expérimente l’importance du climat sur les conditions d’existence de la population (sécheresse, inondations). Le candidat se souvient également avoir été sensible aux nombreux “déclics environnementaux” rencontrés par plusieurs de ses proches : “C’est parfois à travers une expérience personnelle, (…) que l’on construit sa capacité à devenir les porteuses et les porteurs d’un combat.”
Compter ce qui compte vraiment : comment ?
Selon le candidat, il est nécessaire de mettre en place des indicateurs intégrant “notre prospérité collective”. Il envisage ainsi de compléter le PIB par des outils capables de mesurer l’empreinte carbone, les inégalités, les conséquences sur l’environnement ou sur la santé. Il lui semble en effet essentiel de réfléchir à la mise en place d’une valeur respectueuse des questions environnementales, sociales, et des territoires. Pour se faire, Yannick Jadot propose de conditionner l’accès au marché public au respect du climat, de la justice sociale, et de l’égalité femmes-hommes. En un mot, il s’agit d’organiser à travers les politiques publiques une redéfinition de la valeur créée par l’entreprise.
Quelle planification pour la transformation de l’économie française ?
Si Yannick Jadot reconnaît que l’économie verte est créatrice d’emplois, il insiste toutefois sur le besoin d’accompagner cette transition. Contrairement aux emplois amenés à disparaître, les emplois créés par la transition écologique ne font pas encore partie de notre vie quotidienne, selon le candidat. Il souhaite ainsi réunir tous les acteurs concernés pour penser et préparer cette transition : les entreprises, les salariés, les collectivités, ainsi que l’État, en soutien. Yannick Jadot croit en effet en la force de l’entreprise pour convertir “cette contrainte en opportunité”. Le rôle de l’État sera d’accompagner ces projets et de leur donner de la visibilité.
L'analyse
Quelle conscience environnementale avez-vous ressentie de Yannick Jadot ?
La conscience de Yannick Jadot de la crise environnementale n’est plus à prouver. Le candidat n’a pas sû nous donner un exemple de sensibilisation qui aurait initié un déclic chez des citoyens ou des professionnels récemment. De ce fait, nous nous questionnons sur la manière dont il entend embarquer le reste des mouvances politiques dans ce combat pour la planète.
La discussion était articulée autour de trois idées : conscience et formation dans les mondes politique et économique, mesure d'indicateurs autres que le PIB et transition de l'emploi. Les propositions vous ont-elles convaincus ?
Nous sommes en ligne avec la stratégie décrite par Yannick Jadot pour engager la transition écologique du monde de l’entreprise. Son projet nous semble complet et organisé : initier le mouvement général par les politiques publiques, travailler à l’éveil des consciences, mesurer les performances, et enfin s’assurer de leur évolution positive via l’incitation et la régulation.
Nous regrettons toutefois un manque de réalisme : il retient par exemple la note RSE comme incitation dont il faudra s’inspirer dans les politiques de demain. Pourtant, cette note est encore loin de compenser les efforts investis par les entreprises. Il est difficile de penser que les entreprises engagées pour leur transition écologique continuent à ne pas être concurrentielles dans les années à venir.
Si Yannick Jadot était amené à travailler sur un deuxième Projet de Loi Climat, que lui suggéreriez-vous d'y mettre ?
Une nouvelle Loi Climat devrait permettre d’inciter et de contraindre les branches et les différents secteurs d’activité à présenter des plans concrets en faveur de la transition écologique dans chacun de ces segments. Pour initier cette démarche et la rendre sincère, nous suggererions au candidat de prévoir une formation des dirigeants économiques d’au moins 20h sur les enjeux climatiques actuels et à venir. Le même projet de formation pourrait être mis en place au sein du monde politique. Fort de cet éveil des consciences, nous espérerions provoquer une forme d’union sacrée : il s’agirait d’engager l’ensemble des partis politiques pour en faire un enjeu de survie planétaire plutôt qu’un enjeu politique clivant.
Le programme de Yannick Jadot
Yannick Jadot veut augmenter l’objectif français de réduction des émissions de gaz à effet français d’ici 2030, pour le passer à 55 % par rapport à 1990, tout en incluant les émissions importées. Il veut également augmenter l’objectif européen à 65 %. Pour rappel, la France vise la neutralité carbone en 2050 et une baisse de ses émissions de 40 % en 2030 par rapport au niveau de 1990. L’Union européenne a récemment revu l’ambition de son objectif 2030, pour l’augmenter de 40 % à 55 % par rapport à 1990.
Pour atteindre ces objectifs, il souhaite augmenter « fortement » les investissements et subventions publics consacrés au climat à travers un plan de 25 Mds€ supplémentaires par an dans les secteurs les plus émetteurs. Ces financements sont majoritairement dirigés vers trois secteurs : 7,0 Mds€ pour la rénovation des bâtiments, 7,4 Mds€ pour la décarbonation des transports, 4,7 Mds€ pour la décarbonation de l’énergie. Les financements publics servent « à la fois à assurer l’atteinte des objectifs climatiques mais également à prendre en compte leurs impacts sociaux (principe du « zéro reste à charge » pour les ménages modestes) ». Il mobilise aussi la réglementation et propose de nombreuses réformes fiscales pour déclencher des investissements privés (voire rubrique "fiscalité").
Yannick Jadot porte par ailleurs quelques propositions permettant d’améliorer l’efficacité des dépenses publiques pour le climat. Dans une logique d’effectivité, il propose de privilégier les rénovations énergétiques « globales », c’est-à-dire réalisées en une seule fois, qui offrent de meilleures perspectives pour atteindre des bâtiments dits « basse consommation ».
Dans une logique plutôt d’efficience, Yannick Jadot propose de réorienter les aides de la Politique agricole commune vers des pratiques plus durables ou encore de conditionner les aides publiques aux entreprises à un strict respect de critères sociaux et environnementaux et de supprimer l’ensemble des niches fiscales sur l’énergie. La hausse des dépenses annuelles pour le climat s’inscrit dans un programme plus large du candidat - incluant un revenu citoyen, des mesures de solidarité et protection sociale et pour la santé - dont le coût total pour les finances publiques a été estimé par son équipe à 93 Mds€ de plus par an. Il souhaite le financer par la hausse d’une fiscalité « plus juste », la réorientation de dépenses existantes, et l’endettement.
En matière de fiscalité, Yannick Jadot compte notamment sur la mise en place d’un ISF climatique qui rapporterait 15 Mds€/an. Il compte par ailleurs supprimer les niches fiscales défavorables au climat – qu’il estime à 18 Mds€/an actuellement – en particulier celles qui concernent le transport aérien intérieur, le fret routier, le gazole non-routier –, et consacrer la moitié des économies budgétaires réalisées dans les premières années à l’accompagnement des acteurs et secteurs concernés. Il souhaite introduire une logique de bonus-malus dans la fiscalité. Cette logique s’appliquerait à la TVA, dont les taux seraient modulés en fonction de l’impact environnemental des produits ou services, avec par exemple une baisse du taux à 5,5 % pour les transports collectifs peu carbonés, et au contraire une augmentation du taux à 20 % pour les transports polluants (taxis non électriques, aviation). Elle s’appliquerait également à un ISF qui taxerait les patrimoines supérieurs à 2 M€ et comporterait un bonus-malus selon l’impact des actifs financiers et immobiliers sur le climat. Elle s’appliquerait également à d’autres impôts, comme les impôts sur les sociétés.
Pour inscrire dans la durée l’action sur le climat, Yannick Jadot compte mettre en place une loi de programmation budgétaire pour le climat, qui inclura la planification d’investissements en faveur de l’atténuation et de l’adaptation. Par ailleurs, il souhaite créer un organisme public indépendant, qui aura pour mission d’évaluer les lois, avant leur vote et après leur mise en œuvre, au vu d’un certain nombre de critères dont l’empreinte carbone, en s’inspirant des travaux d’institutions existantes, dont le Haut Conseil pour le Climat.
Accords commerciaux
En matière de commerce, outre le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières, Yannick Jadot propose de mettre en place à l’échelle européenne un régime de sanctions contre les Etats qui « tournent le dos à leurs engagements climatiques ». Il propose un moratoire sur la signature des accords de commerce en cours de négociation ou ratification, et de conditionner la signature de nouveaux accords à l’inclusion de clauses sociales et environnementales contraignantes et contrôlables.
Eco-conditionnalité des aides et des marchés publics
Yannick Jadot propose de conditionner les aides publiques aux entreprises à des critères environnementaux et sociaux. Cette contrainte ne concernerait que les plus grandes entreprises dans un premier temps, et requerrait le respect d’un certain nombre de critères, dont la réalisation de plans pour la décarbonation des activités et la formation des salariés et dirigeants aux enjeux climat. Il entend également conditionner les marchés publics nationaux supérieurs à 90 000 € à la production par les entreprises d’une trajectoire carbone compatible avec un scénario 1,5 degrés. Il compte en outre réserver l’octroi du crédit impôt recherche à des projets qui ne portent pas atteinte à l’environnement avec une bonification pour les projets de recherche en faveur de l’environnement.
Mobilisation de la finance privée
Yannick Jadot souhaite réorienter l’épargne privée vers le financement de la transition écologique. Pour cela, il propose d’utiliser les fonds du Livret de Développement Durable et Solidaire et de réviser les labels existants pour les actifs financiers. Yannick Jadot a d’autres propositions pour mobiliser la finance : en particulier, il compte orienter les placements des banques en imposant un malus prudentiel à celles qui financent des énergies fossiles, et un bonus à celles qui ont des placements très majoritairement considérés comme « verts ».
Décarbonation de l’industrie
Yannick Jadot propose de créer un « fonds de décarbonation et relocalisation de l’industrie », abondé à hauteur de 2,5 Mds€/an, pour d’une part soutenir les industries engagées dans des processus de décarbonations de leurs procédés, et d’autre part soutenir l’installation ou la relocalisation de nouvelles industries contribuant à la transition.