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Brève histoire de la raison d’être des entreprises

Depuis le XVIIe siècle et l’émergence du capitalisme, les entreprises se questionnent périodiquement sur leur raison d’être. Loin de se résumer à un effet de mode, le questionnement du sens de l’entreprise et les finalités qu’elle doit adresser n’est absolument pas nouveau. S’il s’inscrit dans un changement profond, historique et de grande ampleur, l’époque contemporaine réinterroge profondément ses contours. Revenons sur les temps forts qui ont marqué la réflexion autour de la raison d’être de l’entreprise.


1664

La Compagnie des Indes orientales voit le jour et, avec elle, la société de capitaux anonyme, qui distingue pour la première fois le patrimoine des actionnaires (incluant Voltaire ou Louis XIV) de celui de l’entreprise. La raison d’être de la Compagnie est stipulée à travers une lettre de mission, signée par le roi Louis XIV, et fait l’objet d’une validation par le Parlement de Paris. Parmi les éléments de sa raison d’être, figure la volonté d’organiser et de structurer les voies maritimes sur l’océan Indien autour de matières premières ou encore celle de diffuser la culture du christianisme et de participer activement au progrès des arts et des sciences.

1807

Le Code de commerce donne une existence légale à la société de capitaux avec la création de la société anonyme. L’autorisation de création d’une entreprise est alors uniquement accordée si elle est jugée d’intérêt collectif (voies ferrées, banques…). Par ailleurs, l’Etat est garant de la moralité et des compétences des dirigeants. A cette époque, il n’est pas possible de créer une entreprise si cette dernière n’a pas une raison d’être qui concerne des projets d’intérêt collectif.

1867

La société anonyme est libéralisée. Si la raison d’être doit être licite, la création de l’entreprise ne requiert plus la validation de l’Etat. Les pouvoirs publics font alors le pari d’une économie de marché dont l’instrument principal est l’entreprise. Plusieurs centaines d’entreprises se créent via une explosion du recours à la société anonyme en France. Les entreprises jugées stratégiques ou d’intérêt public restent néanmoins sous contrôle de l’État, qui agit en tant qu’actionnaire pour préciser la raison d’être des entreprises concernées.

1986

L’Etat se désengage d’un certain nombre de grandes entreprises à travers la loi de privatisation, témoignant ainsi d’un nouveau rapport à l’entreprise. Auparavant publiques, ces entreprises deviennent progressivement les supports de l’épargne. Avec la financiarisation de l’économie, la raison d’être se transforme et s’affirme progressivement comme un objectif de performance actionnariale.

2019

La raison d’être de l’entreprise est en train de se redéfinir avec notamment les initiatives liées au vote de la loi Pacte 2019. C’est un faisceau d’éléments qui conduisent à alimenter le débat contemporain sur la raison d’être de l’entreprise : le découplage entre le progrès technologique et le progrès social, les dérèglements climatiques, l’éco-anxiété croissante des collaborateurs, la montée des critiques à l’égard de l’entreprise et du libéralisme, la reconquête de l’indépendance des pays…
La période contemporaine est marquée par un décalage croissant entre les performances économiques des entreprises et la faiblesse des résultats pour relever les défis sociaux et environnementaux. On voit également qu’un certain nombre d’activités semblent condamnées du fait de l’emprise négative qu’elles ont sur le système Terre. Se pose alors la question du “seuil de suffisance” à atteindre, autrement dit de ce dont nous avons réellement besoin au-delà du paradigme actuel de la croissance reposant sur l’accumulation.
Il n’y a pas aujourd’hui un détonateur qui fait réémerger le questionnement autour de la raison d’être mais bien une multitude de transformations qui placent les entreprises au cœur des problématiques contemporaines.
Il y a en revanche une nette singularité dans la période actuelle : la raison d’être est aujourd’hui définie par l’entreprise elle-même alors qu’historiquement, elle était édictée ou validée par une autorité supérieure (le Roi ou l’Etat).

Il est enfin important de souligner que la résolution des grands défis contemporains que soulève l’urgence climatique et sociale ne peut en aucun cas se solder ou se réduire à des labels ou de belles intentions. Bien qu’utiles, ces derniers ne sont pas suffisants pour redéfinir la finalité de l’entreprise et ses modalités opérationnelles. Pour relever ces défis, faudrait-il aller jusqu’à envisager une réappropriation de la notion de raison d’être par les pouvoirs publics comme constaté historiquement ? Le changement de paradigme est tel qu’en effet, la question économique est devenue éminemment politique.

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Bertrand Valiorgue

Bertrand Valiorgue est professeur de stratégie et gouvernance des entreprises à l’université Clermont Auvergne. Il est également membre de l’Institut français de gouvernement des entreprises (EM Lyon). Ses travaux de recherche portent sur les enjeux de développement durable dans le contexte de l’Anthropocène. Il est l’auteur de l’essai La raison d’être de l’entreprise publié aux Presses Universitaires Blaise Pascal.

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