CINQ FAUSSES CROYANCES DE LA RSE À DÉNONCER POUR ENFIN AGIR
- Fabrice Bonnifet
- RSE, Session 1, Vision & perspectives
Nous, professionnels du développement durable, le savons, même si nous avons longtemps voulu croire le contraire. Nous savons aussi que les catastrophes climatiques vont aller croissant longtemps après la fin des émissions de GES anthropiques, et qu’aucune économie ne sera viable sur une planète étuve. La question est désormais la maintenabilité de conditions de vie décentes sur la planète, la justice sociale, et la paix. Les plans de relance conditionnés et autres fit for 55, dans leur configuration actuelle, ne font qu’amplifier la pression sur les ressources et les injustices.
La clairvoyance nous impose d’en appeler à une régulation à la hauteur des enjeux, dans un cadre et un horizon temporel fixés par la science, et non par une doctrine économique et politique déconnectée des limites planétaires.
Le temps est à l’humilité d’admettre que cinq fausses croyances freinent une action mesurable à la hauteur des enjeux :
1-La RSE permet aux entreprises de concilier durabilité et augmentation des profits
Les partisans d’un capitalisme plus responsable voudraient y croire, mais dans le système actuel, plus une entreprise maîtrise le greenwashing, plus elle délocalise sa production, plus elle pratique l’optimisation fiscale légale, plus elle sera performante et plus son lobbying aura les moyens de bloquer tout durcissement règlementaire. Les externalités négatives ne lui coûtant rien, le profit sera toujours du côté du moins disant social et environnemental. Oui, intégrer le capital naturel et humain dans les modèles économiques a un coût. Certes, prendre des parts de marché est possible pour des entreprises mieux-disantes, mais l’enjeu est avant tout de préserver son droit à opérer. Mettre en œuvre une stratégie de RSE compatible avec les limites planétaires est une assurance vie, pas une garantie de sur-profitabilité.
2-La RSE favorise l’émergence d’une croissance verte
Voici le ressort principal des levées de fonds green, et, plus grave, des politiques de relance vertes actuelles. Le fameux découplage, combinant augmentation du PIB et diminution du CO2, est resté au stade théorique. Dans la pratique, l’amélioration d’un delta de pollution, via une réduction de consommation d’énergie ou de matières premières, fait baisser les coûts d’acquisition, rendant les produits et solutions concernés accessibles à plus de clients. L’effet rebond survient immanquablement avec un recouplage : celui de l’accroissement de la production ou de l’usage du service. La vérité est que nous avons besoin de sobriété via une réduction planifiée et démocratique des flux économiques dans les pays riches, pour réduire les pressions environnementales et les inégalités, tout en améliorant la qualité de vie du plus grand nombre.
3-L’innovation technologique est un moteur de la RSE
Petite sœur du découplage, l’innovation technologique est l’argument de ceux qui défendent sincèrement, au nom du progrès, le techno-solutionnisme pour atteindre un développement durable. Bien sûr, nombre de technologies permettent de réaliser des économies de temps, d’énergie, de ressources et d’argent, et le confort matériel a été amélioré. Mais aujourd’hui, quelle valeur réelle peut bien avoir une technologie lorsqu’elle n’est pas inclusive ou utile au bien commun ? Ne confondons plus innovation technologique et progrès. Être rationnel impose de reconnaitre que le génie humain, les moyens et le temps qu’il nous reste pour agir doivent être consacrés à l’émergence d’une « juste technologie », avec moins en moins de ressources et d’énergie en absolu, dans une perspective d’abondance frugale pour le plus grand nombre.
« La clairvoyance nous impose d’en appeler à une régulation à la hauteur des enjeux, dans un cadre et un horizon temporel fixés par la science, et non par une doctrine économique et politique déconnectée des limites planétaires. »
4-La RSE permet de mieux piloter la durabilité de l’entreprise
Mieux compter rendrait plus vertueux. Quand on est en surpoids et qu’on le sait, a-t-on besoin d’une balance plus précise, ou d’un changement de mode de vie ? Le reporting extra-financier dans sa conception actuelle est la démonstration de ce que la bureaucratie peut produire de plus inefficace – la taxonomie verte, classification standardisée européenne conçue pour évaluer la durabilité des activités économiques les plus émettrices de GES étant à ce titre et à date le summum de la technocratie. Certes, comptabiliser les externalités négatives est utile, mais le reporting extra-financier n’a rien de transformationnel, ce n’est d’ailleurs pas son objectif. La preuve : quand le profit n’est plus au rendez-vous, les deux autres piliers du développement durable, le social et l’environnemental, sont systématiquement sacrifiés. Il est urgentissime de déployer dans les entreprises une comptabilité multi capital dans une optique de soutenabilité forte – et sans concession.
5-La RSE favorise la neutralité carbone
Annoncer sa neutralité carbone dans 10, 20 ou 30 ans est à la mode. Leurs auteurs comprennent-ils vraiment le sens de ce que cela implique ou reportent-ils ce poids sur la génération suivante ? Aucune organisation ne peut se déclarer neutre, mais toutes doivent activement contribuer à la neutralité planétaire. Ceci impose une remise en question en profondeur, particulièrement lorsque les annonces associées ne concernent que les émissions directes des entreprises et que leur modèle d’affaires reste inchangé. Pour tendre vers le net zéro émission, la mise en œuvre d’une approche perma-circulaire à base de solutions éco-conçues, via une économie de la fonctionnalité poussée, en abandonnant progressivement l’approche linéaire, est impérative.
A nous, professionnels du développement durable, de ne plus dire ce que les gens veulent entendre, mais de commencer à faire ce qu’il faut vraiment faire : abandonner nos croyances obsolètes, ainsi que notre entêtement à vouloir remettre la responsabilité sur les autres – générations, pays, continents. Il est de notre responsabilité à nous, acteurs économiques des pays dits « développés », responsables des émissions de CO2 passées, de montrer qu’une autre voie est possible. Face aux fausses croyances, il n’y a qu’une réponse : la vérité. Et pour la rétablir, une seule solution : la formation.
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Fabrice Bonnifet
Fabrice Bonnifet est président du Collège des Directeurs du Développement Durable (C3D), directeur RSE, Qualité & Sécurité du Groupe Bouygues et membre du Comité de Garants de la Convention des Entreprises pour le Climat.
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